Belgique et Congo : construire l’avenir main dans la main

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Palais du peuple

Notre couple royal sur la scène du Palais du Peuple à Kinshasa. À gauche, le Premier ministre De Croo et son épouse ; à droite, le Président Tshisekedi et son épouse. © Serch Carrière

La visite du couple royal au Congo du 7 au 13 juin 2022 a permis à la Belgique de réaliser une avancée considérable dans le sens du renouvellement des relations avec l’ancienne colonie. Cette visite visait essentiellement à tourner la page sombre du chapitre colonial et à construire ensemble un avenir porteur d’espoir.

Le peuple congolais a en effet droit à une vie décente dans un pays qui respecte les droits humains et les principes démocratiques. En outre, les forêts et minerais dont regorge le Congo représentent des atouts considérables pour relever les défis mondiaux. La Belgique et le Congo ont besoin l’un de l’autre, tout comme l’Europe et l’Afrique. Dans ce contexte, une collaboration étroite renouvelée entre la Belgique et le Congo prend tout son sens.

Paternalisme, discriminations et racisme

« Nous vivons un moment charnière », indique Stéphane Doppagne, envoyé spécial pour la région des Grands Lacs. « Mais si nous souhaitons vraiment aller de l’avant, nous devons d’abord être capables de regarder ce passé colonial droit dans les yeux, y compris ses aspects sombres et douloureux. »

La visite royale y a déjà fortement contribué. Dans son discours au Palais du Peuple – siège du parlement et du sénat congolais – à Kinshasa, Sa Majesté le Roi a évoqué sans ambages ces aspects sombres et a exprimé ses plus profonds regrets, une première sur le sol congolais.

« Bien que de nombreux Belges se soient sincèrement investis, aimant profondément le Congo et ses habitants, le régime colonial comme tel était basé sur l’exploitation et la domination, a déclaré notre souverain. Ce régime était celui d’une relation inégale, en soi injustifiable, marqué par le paternalisme, les discriminations et le racisme. Il a donné lieu à des exactions et des humiliations. (…) ici même, face au peuple congolais et à ceux qui aujourd’hui encore en souffrent, je désire réaffirmer mes plus profonds regrets pour ces blessures du passé. »

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Vétéran de guerre congolais

En décorant le vétéran Albert Kunyuku, âgé de 100 ans, le roi a reconnu les sacrifices consentis par le peuple congolais pendant les deux guerres mondiales. © Serch Carrière

Vétéran congolais

Sa Majesté le Roi a également dévoilé un masque géant très rare de l’ethnie Suku, issu de la collection de l’AfricaMuseum de Tervuren, et l’a remis au Musée national de Kinshasa. Autre geste fort durant ce voyage, le souverain a décerné une distinction au dernier vétéran congolais de la Seconde Guerre mondiale, Albert Kunyuku, aujourd’hui centenaire. Ce fut ainsi l’occasion pour le roi de rendre hommage aux sacrifices consentis par le peuple congolais pendant les deux guerres mondiales. En outre, il a exprimé sa reconnaissance pour l’immense contribution des Belges d’origine congolaise à la vie sociale, économique et culturelle de notre pays.

« Tous ces gestes s’inscrivent dans un travail de fond que la Belgique mène actuellement autour de son histoire coloniale », explique Stéphane Doppagne. « Il s’agit non seulement du travail minutieux au sein de la commission parlementaire chargée, jusqu’à la fin de cette année, de réaliser un examen approfondi de ce passé colonial, mais également du processus que nous avons entamé et qui devrait permettre de restituer les biens culturels acquis de manière illégitime. En outre, nous avons déjà accompli de solides progrès en ce qui concerne notre réponse aux revendications fondées des métis. Sans oublier que, le 20 juin 2022, la dépouille de l’ancien premier ministre Lumumba a été officiellement restituée à sa famille lors d’une cérémonie au palais d’Egmont. »

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Le roi admire le masque géant

Le prêt pour une durée illimitée d’un masque géant a marqué le début symbolique d’une coopération scientifique et muséale renforcée entre la Belgique et le Congo. © Serch Carrière

AfricaMuseum

En marge du sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine en février 2022, le premier ministre Alexander De Croo avait déjà remis à son homologue congolais, Jean-Michel Sama Lukonde, un inventaire de 84 000 objets d’art et d’objets culturels, tous sortis des collections de l’AfricaMuseum. Une loi à ce sujet devrait être votée prochainement. En outre, un accord entre la Belgique et le Congo est envisagé afin de permettre la restitution des objets acquis illégitimement si le Congo en fait la demande. Des experts congolais seront très étroitement associés à ce processus.

Selon des estimations, 1 % des collections de l’AfricaMuseum originaires du Congo aurait été spolié, 60 % obtenus légitimement tandis que la lumière doit encore être faite sur la manière dont les 39 % restants ont atterri en Belgique. Le prêt pour une durée illimitée du masque géant acquis dans des conditions légitimes a également marqué le début symbolique d’une coopération scientifique et muséale renforcée entre la Belgique et le Congo.

L’AfricaMuseum a par le passé déjà pris des initiatives. Il a par exemple profité de la rénovation de 2013 à 2018 pour repenser en profondeur la présentation de l’histoire coloniale, en étroite collaboration avec des scientifiques africains et la diaspora africaine en Belgique.

De leur côté, les communautés réexaminent l’enseignement du passé colonial dispensé à nos élèves. Un projet est également en cours pour combler les lacunes dans l’enseignement de l’histoire dans les écoles au Congo, le but derrière cette action étant de renforcer la confiance en soi des jeunes.

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Le "pagne" congolais

La Reine en conversation avec la Première Dame du Congo sur un marché de pagne. © Palais Royal

Les jeunes et les femmes

Il va sans dire que le regard de la Belgique et du Palais sur le passé colonial a évolué. « Mais aussi essentiel qu’il soit, nous ne pouvons pas continuer à nous focaliser sur le passé », souligne Stéphane Doppagne. « Nous devons désormais tourner notre regard vers l’avenir et vers les jeunes. C’est d’ailleurs ce qu’a également affirmé le président congolais Tshisekedi. La nouvelle génération a bien sûr droit à un souvenir correct, réfléchi et pacifié de notre passé commun, mais ce n’est que le point de départ pour relever les défis d’aujourd’hui. Pour y parvenir, il est essentiel d’agir dans un esprit de respect, d’égalité et de dialogue, en affichant une forte volonté de collaborer et d’enrichir nos relations. »

La jeunesse occupait dès lors une place centrale lors de la visite royale. Dans son discours devant les étudiants de l’université de Lubumbashi, Sa Majesté le Roi Philippe a déclaré : Et à travers vous, je m’adresse à tous les jeunes du Congo. (…) Ce futur, il vous appartient. (…) C’est pourquoi je n’hésite pas à dire que la vraie richesse du Congo, c’est vous, les jeunes, avec votre détermination et votre enthousiasme. (…) Une mine, on peut l’épuiser. Le talent et la volonté de la jeunesse, sa soif de savoir, par contre, sont inépuisables. » Détail qui a son importance : plus de 68 % de la population congolaise a moins de 25 ans.

Une attention particulière a également été consacrée aux femmes. Le couple royal a ainsi participé à une table ronde sur les droits des femmes. Il a également visité un grand marché de vêtements tenu par les « mamans », des commerçantes dynamiques qui portent à bout de bras un pan considérable de l’économie congolaise. Ce marché propose des « pagnes » colorés, habits typiques du Congo : des vêtements légers faits d’une seule pièce d’étoffe rectangulaire, drapée autour de la taille.

Le nouveau programme de coopération au développement gouvernemental (2023-2027) investira d’ailleurs principalement dans les femmes et les jeunes afin de favoriser leur autonomisation. Le budget sera considérablement augmenté par rapport aux programmes précédents. Sans compter la coopération non gouvernementale et multilatérale qui vient s’y ajouter.

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Table ronde avec des femmes

Notre couple royal a également participé à une table ronde sur les droits des femmes. © Palais Royal

Pas de développement sans paix

Il va de soi que la sécurité constitue un autre défi crucial dans la région. Doppagne : « Le roi l’a exprimé sans équivoque devant 7 000 étudiants à Lubumbashi : il n’y a pas de développement sans paix, et il n’y a pas de paix sans développement. À ce sujet, nous ne pouvons ignorer le conflit sanglant qui sévit dans l’est du Congo et dont pâtit la population locale depuis près de 30 ans. La visite du couple royal au Sud-Kivu, non loin de la zone de conflit, a dès lors été fortement appréciée. Le Dr Mukwege, lauréat du prix Nobel, l’a qualifiée d’acte humanitaire fort qui témoigne d’un courage exceptionnel. Cette visite a également permis de briser l’indifférence de la communauté internationale face à la terrible tragédie qui frappe l’est du Congo. »

De nombreuses femmes dans l’est du pays sont victimes de viols atroces. C’est pourquoi le Dr Mukwege a pris l’initiative de les « réparer » et de créer pour elles l’hôpital Panzi à Kivu, avec le soutien de la Belgique. Notre pays a également déployé de nombreux efforts pour accueillir les victimes. Ainsi, l'Agence belge de développement Enabel a mis au point une prise en charge globale : les victimes peuvent bénéficier non seulement d’un suivi médical et psychologique, mais aussi d’une assistance juridique et d’un accompagnement en vue d’une réintégration dans la société.

« Mais il faut également s’attaquer aux sources du conflit », précise Stéphane Doppagne. « Dans son discours à Kinshasa, le roi a évoqué l’impunité qui règne trop souvent dans l’est du Congo. Il a également souligné que la préservation de l’intégrité territoriale du Congo est une préoccupation majeure. »

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Hôpital de Panzi

Notre couple royal avec le Dr Mukwege à l'hôpital de Panzi. © Palais Royal

Coopération militaire

La Belgique fournit d’importants efforts pour remédier à la situation. Notre pays appuie ainsi la volonté des autorités congolaises de mettre sur pied un mécanisme de « justice transitionnelle » qui pourra contribuer à la réconciliation et à la lutte contre l’impunité. En parallèle, notre pays milite pour un plus grand soutien en la matière de la part des plateformes internationales (UE, ONU…). Afin de mettre en place un tel mécanisme, l’État belge a fait don de 1,5 million d’euros au Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme en RDC (BCNUDH).

La Belgique renoue également la collaboration militaire avec le Congo. Depuis avril 2022, une trentaine d’instructeurs belges sont présents à Kindu. Quatre officiers congolais suivront une formation en Belgique. Par ailleurs, notre pays s’est associé à des partenaires européens pour repenser le secteur de la sécurité de manière globale : police – armée – justice – système pénitentiaire. Dans ce cadre, Enabel soutiendra la réforme de la police congolaise en collaboration avec notre police fédérale.

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Cercueil drapé d'un drapeau

Les descendants de l'ancien Premier ministre Lumumba déposent un drapeau congolais sur le cercueil contenant la dépouille (Palais d'Egmont). © Serch Carrière

Climat des affaires et ressources naturelles

Pour que le Congo s’engage réellement sur la bonne voie, il faut aussi que le climat des affaires s’améliore. La corruption, par exemple, reste un problème récurrent. C’est d’ailleurs un autre défi que la Belgique souhaite contribuer à relever, entre autres au moyen d’un échange d’expertise. De plus, notre pays apporte un soutien financier à un programme de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) visant à renforcer la structure de lutte contre la corruption au Congo.

Se pose aussi la question des immenses ressources naturelles dont le Congo dispose. « Les minerais congolais tels que le cobalt sont essentiels à la transition verte que le monde doit opérer de toute urgence, déclare Stéphane Doppagne. Mais leur exploitation doit profiter aux Congolais eux-mêmes. » C’est pourquoi la Belgique soutient l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), qui promeut la transparence et la bonne gouvernance dans le secteur minier.

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Institut médical INRB

Notre couple royal a également visité l'institut médical de l'INRB. Au centre : le directeur, le Dr Muyembe, codécouvreur d'Ebola. © Palais Royal

Créativité et dynamisme

En dépit de toutes ces difficultés, la population congolaise continue de démontrer une créativité et un dynamisme remarquables. Notre couple royal a pu le constater au cours de son séjour. Le Roi et la Reine ont notamment visité l’Institut National de Recherche Biomédicale (INRB) de Kinshasa, où les chercheurs ont découvert Ebola. Figurait également au programme une visite du Silikin Village. Fondé par le groupe belge TEXAF, ce hub d’entrepreneuriat et d’innovations a déjà encadré plusieurs start-ups.

Dans son allocution à Lubumbashi, le Roi a évoqué la récente création du Centre africain d’excellence pour la recherche avancée sur les batteries électriques (CAEB). L’objectif est de permettre au Congo d’assurer lui-même la transformation de son cobalt en batteries indispensables aux voitures électriques et aux énergies renouvelables.

Le Congo dispose donc de sérieuses capacités ; il s’agit seulement de les soutenir. Comme le résume le docteur Jean-Jacques Muyembe, directeur de l’INRB : « Nous voyons que, si les Congolais sont mis dans de bonnes conditions, ils peuvent être très performants. »

Forêts tropicales

Un dernier thème important évoqué pendant la visite royale a été le changement climatique et la crise de la biodiversité. Non seulement le Congo dispose des matériaux indispensables aux technologies permettant de faire face au réchauffement climatique, mais il abrite également des forêts tropicales presque intactes. « Les forêts tropicales dans le bassin du Congo forment le deuxième plus grand poumon de la planète, après la forêt amazonienne. Il est essentiel de les protéger, mais ce ne sera possible qu’à la condition de lutter en parallèle contre la pauvreté », souligne Stéphane Doppagne.

Dans cette optique, notre couple royal a visité le village Katanga, dans la forêt de Miombo, pour y découvrir un projet de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). En vue de lutter contre la surexploitation, les communautés locales apprennent à tirer des revenus de la forêt sans la dégrader. Par exemple, ils cultivent des plantules destinées à la reforestation et vendent des produits non ligneux tels que du miel ou une boisson locale préparée à partir des racines de l’arbuste munkoyo.

Sur un pied d’égalité

En résumé, les discours et les visites au programme de cette visite royale ont touché à tous les aspects de l’avenir vers lequel nous voulons nous diriger. Une vision qui a été bien accueillie par la population. Il s’agit à présent de poursuivre avec le même élan, sur un pied d’égalité et dans le respect mutuel.

« La Belgique étant un petit pays, elle ne peut pas proposer de programmes très ambitieux. Par contre, elle peut se servir d’institutions internationales telles que la Banque mondiale et le FMI comme levier, explique Stéphane Doppagne. Et puis, nous connaissons la région. Quand il est question du Congo, on nous écoute. Des pays comme les États-Unis nous demandent régulièrement conseil. »

« La Belgique est fermement décidée à soutenir le Congo dans son processus de stabilisation et de démocratisation, conclut Stéphane Doppagne. Nous sommes du côté du peuple congolais, qui aspire au respect de l’État de droit et des principes démocratiques, à la bonne gouvernance et au progrès sur le plan des droits humains, en particulier pour les femmes et les jeunes. La visite royale constitue un moment charnière, qui inspire espoir et confiance pour l’avenir. Car les jeunesses belge et congolaise débordent d’idées et de talent ; elles sont ouvertes l’une à l’autre, ouvertes à tous. À présent, nous devons tourner définitivement cette page sombre de notre histoire pour écrire un nouveau chapitre prometteur. »