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Les producteurs de cacao ont droit à un revenu décent. Mais ce n’est souvent pas le cas aujourd’hui (© Beyond Chocolate).
INTERVIEW - Si nous voulons offrir une bouchée de bonheur à nos clients grâce à notre chocolat, pouvons-nous nous permettre de laisser les cacaoculteurs vivre dans la misère ? Philippe de Selliers - président du comité directeur de Beyond Chocolate et PDG de Leonidas - n'est pas de cet avis. Nous nous sommes entretenus avec lui au sujet de Beyond Chocolate, l'initiative visant à rendre le chocolat belge durable.
En décembre 2018, l'industrie chocolatière belge s'est engagée à rendre durable la totalité de son chocolat. Cet objectif consiste notamment à s'assurer que les producteurs de cacao perçoivent un salaire décent et à mettre fin à la déforestation et au travail des enfants.
Mais où en est exactement cette initiative Beyond Chocolate ? Nous avons posé la question à Philippe de Selliers, président du comité directeur de Beyond Chocolate. Il est PDG de Leonidas et président de Choprabisco, l'Association royale belge des industries du chocolat, de la praline, de la biscuiterie et de la confiserie.

Philippe de Selliers, PDG de Leonidas (© Leonidas).
Qu'est-ce que Beyond Chocolate exactement ?
Lorsqu'Alexander De Croo était ministre de la Coopération au développement, en 2018, il a fait le pari de rendre le chocolat belge durable d'ici 2030. Le partenariat Beyond Chocolate vise à concrétiser cette ambition. Tous les acteurs belges concernés en font partie, des entreprises chocolatières aux ONG en passant par les universités et les supermarchés. Nous devons absolument assumer notre responsabilité sociale en tant que secteur.
Le secteur chocolatier belge a certainement un atout à faire valoir. Nous excellons en matière d'innovation et de qualité, et nous jouissons d'un grand respect dans le monde entier. Si nous montrons l'exemple sur le plan de la durabilité, il est certain que nous pourrons avoir une influence positive sur les chocolatiers d'autres pays.
Les objectifs de Beyond Chocolate
D’ici 2025 au plus tard
- Tous les chocolats produits et/ou vendus en Belgique seront certifiés ou se conformeront à un programme de durabilité.
- La déforestation résultant de la cacaoculture pour le secteur du chocolat belge aura pris fin.
D'ici 2030 au plus tard
- Les producteurs de cacao liés au marché belge percevront un revenu décent.
Quel est l'intérêt pour le secteur chocolatier belge de s'engager en faveur du cacao durable ?
Tout d'abord, les consommateurs demandent un véritable engagement social. Refuser d'aller dans ce sens s’avèrerait une erreur stratégique puisque nous risquerions alors d'être exclus.
Ensuite, le facteur humain entre en ligne de compte. Les entreprises chocolatières sont gérées par des personnes. Il est impossible de se contenter de faire des affaires en fermant les yeux sur la misère qui frappe les cultivateurs de cacao au début de la chaîne d'approvisionnement.
Les entreprises sont-elles prêtes à payer davantage ?
Les consommateurs réclament déjà un chocolat plus durable, même si cela ne signifie pas nécessairement qu'ils soient prêts à le payer plus cher. Voilà un aspect que les entreprises doivent prendre en compte.
En ce qui nous concerne, nous bénéficions d'une certification à 100 % depuis octobre 2021. Tout le cacao que nous achetons porte le label Rainforest Alliance. Nous payons un prix plus élevé pour cela. Ce surcoût représente plusieurs centaines de milliers d'euros par an.
Pourtant, nous avons tenu à ne pas augmenter nos prix. Ce faisant, nous demeurons fidèles à la mission du fondateur de Leonidas en 1913 : rendre le luxe du chocolat accessible à tous. Nous voulons pouvoir offrir à chacun une bouchée de bonheur à un prix abordable.
Au passage, nous utilisions déjà du beurre de cacao à 100 %, des produits frais et aucune huile de palme ; en plus, nous voilà désormais certifiés. Par ailleurs, cette transition vers un label de durabilité n'a eu aucun effet sur nos chiffres de vente.
Dans mon rôle de président de Choprabisco, je constate que la plupart des entreprises, si ce n'est toutes, veulent progresser dans la voie de la durabilité. Cette tendance ne fait que renforcer le prestige du chocolat belge, si apprécié dans le monde entier.
Cependant, il conviendrait de collaborer afin de s'assurer qu'une part maximale de ces fonds supplémentaires aboutisse entre les mains des cultivateurs de cacao. Les consommateurs seraient peut-être prêts à payer davantage si cette garantie était assurée.

Le comité de pilotage de Beyond Chocolate visite la coopérative de cacao Yeyasso en Côte d’Ivoire. En face, le président Philippe de Selliers (© Beyond Chocolate).
Quelle est votre expérience avec Rainforest Alliance ?
Nous achetons nos fèves de cacao labellisées par Rainforest Alliance et nous les payons légèrement plus cher. Le label vise un cacao dont la culture ne dégrade pas les forêts, introduit des pratiques intelligentes sur le plan climatique auprès des cultivateurs, évite autant que possible le travail des enfants et garantit aux cultivateurs un meilleur revenu.
Ce label nous rend-il vraiment durables ? Assurément, c'est un début. Mais la durabilité reste une aventure évolutive, sans aucune ligne d’arrivée à franchir.
En revanche, ce que je n'apprécie guère, c'est l'énorme charge administrative que cette démarche implique, notamment pour la rédaction des rapports. C'est précisément cette lourdeur administrative qui décourage certains de travailler de manière durable.
Quels sont les résultats de Beyond Chocolate jusqu'à présent ?
En ce qui concerne le chocolat vendu en Belgique (B2C ou business-to-consumer), 90 % était déjà certifié et/ou conforme à un programme de durabilité en 2022. Mais pour le chocolat produit en Belgique (B2B ou business-to-business) - y compris le chocolat exporté - la proportion n'est encore que de 68 %. Ce chiffre est clairement insuffisant.
La part de cacao traçable a atteint 47 %. La traçabilité se révèle essentielle pour connaître, entre autres, les effets sur la déforestation.
Pour l'instant, il semble toutefois que ni la pauvreté ni la déforestation n'aient véritablement diminué au cours des dernières années.
Comment accélérer les progrès ?
Grâce à Choprabisco et Beyond Chocolate - nous travaillons main dans la main - les entreprises belges ont déjà commencé à prendre conscience du besoin de durabilité. Pourtant, il nous faut encore promouvoir l'importance d'un revenu décent, de la déforestation et de la question du travail des enfants, etc.
Certes, en particulier lorsqu'il s'agit d'un revenu décent, la tâche reste difficile. Nous n'avons en effet aucun levier direct. Chez Leonidas, par exemple, nous ne possédons pas de plantations de cacao, nous devons travailler via la chaîne d'approvisionnement.
Néanmoins, les petites et moyennes entreprises doivent poursuivre leur investissement dans des solutions prêtes à l'emploi telles que la certification ou les programmes de durabilité. Ce faisant, il importe qu’elles s’assurent d’améliorer la stratégie et l’impact de ces programmes de soutien sur les cacaoculteurs. En outre, les gouvernements - à la fois à notre niveau et à l'échelle locale - doivent veiller à ce que les règles du jeu soient claires et respectées. Par exemple, en établissant des cadres législatifs, en encourageant les investissements dans les chaînes d'approvisionnement durables, etc.
Beyond Chocolate constitue un partenariat impliquant de nombreux acteurs : les producteurs de chocolat de couverture pour les professionnels, les chocolatiers pour les consommateurs, les supermarchés, les mécanismes de certification, les universités, les ONG, la direction générale de la Coopération au Développement de notre SPF... Quelle est la valeur ajoutée de ce partenariat ?
Réunir tous ces acteurs est très intéressant. Ils représentent en effet des mondes très différents. Le fait de nous réunir nous permet de mieux comprendre les problèmes de chacun. Même si nous voulons tous un prix juste, nous l'envisageons différemment. Certains diront un peu facilement « il suffit de payer plus et c'est réglé », tandis que d'autres rétorqueront que ce n'est pas si simple, que le marché de l'offre et de la demande entre aussi en ligne de compte, etc. C'est ainsi que nous essayons d'arriver ensemble à la meilleure option.

Les plus de 70 entreprises et organisations qui soutiennent Beyond Chocolate. Ensemble, ils représentent environ 90 % du marché belge de la production de chocolat et 57 % du marché belge de la consommation de chocolat (© Beyond Chocolate).
Êtes-vous confiant dans le fait que nous atteindrons les objectifs de Beyond Chocolate ?
En ce qui concerne la certification du chocolat vendu en Belgique, certainement. Pour le chocolat vendu à l'étranger, la chose est probablement aussi possible. Cependant, obtenir un revenu décent pour tous les cultivateurs de cacao reste un objectif très difficile à atteindre.
Beaucoup de facteurs entrent en jeu, entre autres la superficie des terres à cultiver. La parcelle d'un cultivateur de cacao s'étend en moyenne sur 2,3 hectares. Il peut y récolter plusieurs centaines de kilos de cacao. Or, ce n'est pas suffisant pour vivre, même avec un prix plus élevé ! Une telle exploitation ne permet de nourrir que 1,3 personne, ce qui reste insuffisant pour une famille.
Bien que de nombreux foyers dépendent du cacao aujourd'hui, cette activité n'est pas pour autant rentable. D’autres opportunités économiques sont également nécessaires dans ces régions. Et tout ceci dépasse la responsabilité des entreprises chocolatières.
Supposons par exemple que nous payions le cacao deux fois plus cher, de nombreux agriculteurs souhaiteront le cultiver en raison de son rendement, et négligeront donc d'autres cultures. De ce fait, il se peut que la production de cacao soit trop importante, ce qui entraînerait l'effondrement du prix du marché. L'exemple peut paraître un peu sommaire, mais il démontre que le problème n'est pas si simple. Le marché de l'offre et de la demande intervient également.
Malgré la complexité de la situation, le partenariat Beyond Chocolate reste très engagé. Nous disposons d'un secrétariat efficace et le comité directeur se montre également très motivé tout en disposant d'une vaste expertise. Nous avons un impact significatif.
Qu'est-ce que les acteurs concernés attendent du gouvernement pour atteindre les objectifs de Beyond Chocolate ?
L'initiative prise en 2018 pour lancer Beyond Chocolate était en tous les cas de grande envergure et elle bénéficie également d'un bon suivi de la part du gouvernement. Nous espérons que le partenariat puisse compter sur un financement au-delà de 2025, ce qui n'a pas encore été décidé.
Une nouvelle législation européenne sera également mise en place autour de la déforestation, pour ne citer que cet aspect. Ces mesures sont très utiles. Mais je ne suis pas demandeur d’une charge administrative supplémentaire. Chaque euro doit être judicieusement investi.
Comment voyez-vous l'avenir du chocolat en Belgique ?
Avec le chocolat, nous voulons offrir un moment de plaisir. Ce moment magique où vous dégustez du chocolat, c'est pour cette raison que nous travaillons. Le public continuera toujours à rechercher ce sentiment de satisfaction.
Étant donné l'énorme reconnaissance dont nous bénéficions, je vois de toute façon un avenir radieux pour le chocolat belge. Nous vendons dans 40 pays et j'ai eu la chance de beaucoup voyager. À l'étranger, les gens ne connaissent pas toujours Leonidas, mais le chocolat belge ouvre vraiment toutes les portes.
Notre pays possède de véritables joyaux au sein du secteur de la chocolaterie. Les innovations et la créativité y foisonnent. Et nous disposons également d'un savoir-faire remarquable en matière de fabrication de chocolat. Ce savoir est indissociable des gens qui le maîtrisent, vous ne pouvez pas vous contenter de le mettre sur papier. Il doit se transmettre d’une personne à l’autre.
Il est donc essentiel de stimuler le talent des jeunes, de mettre davantage en valeur nos innovations et de montrer au monde entier l'exemple - le tout premier - en matière de chocolat durable.
Qu'attendez-vous du Congrès mondial du cacao en avril ?
J'attends une déclaration commune claire, à la fois ambitieuse et réalisable. Au sens du concept SMART : spécifique, mesurable, atteignable, réaliste et temporel.
La déclaration doit être positive, et non restrictive ; inspirante et non rebutante, et aussi très concrète. Elle doit susciter l'envie de se lancer.
Nous voulons apporter du bonheur à nos clients. Mais cet idéal ne fonctionne que si l'ensemble de la chaîne partage ce bien-être. Nous possédons 1 300 magasins - souvent franchisés - dans 40 pays. Si les franchisés ne sont pas satisfaits et ne servent pas les clients avec le sourire, la réussite ne sera pas à la clé.
Ce principe vaut également pour toute la chaîne d'approvisionnement, en particulier pour les cacaoculteurs. Ils doivent pouvoir disposer de davantage de terres, accéder aux soins de santé nécessaires et envoyer leurs enfants à l'école, entre autres. Nous ne pouvons laisser le monde tel qu'il est, la situation est suffisamment dramatique.
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