Burundi : la masculinité transformative pour une société tolérante

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Photo d'une femme burundaise parlant avec un micro à la main, entourée d'hommes, de femmes et d'enfants.

Entre autres choses, le projet soutenu au Burundi veut que les femmes aient davantage leur mot à dire dans la société (© Impunity Watch).

La concrétisation de l’égalité des genres nécessite de dépasser le paradigme sclérosé de la masculinité toxique synonyme de domination, d’agression, etc. Au Burundi notamment, la Belgique s’attaque avec succès aux stéréotypes. Les femmes bénéficient d’une plus grande reconnaissance, les anciens combattants comprennent mieux l’origine de leur comportement violent...

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Éducation de qualité

L’égalité des genres et les droits des femmes occupent une place centrale dans les politiques intérieure et étrangère de la Belgique. La Coopération belge au Développement – en grande partie pilotée par notre direction générale de la Coopération au développement – consacre elle aussi une grande attention à ces thématiques dans chacune de ses interventions. Ce n’est donc pas un hasard si le genre constitue une priorité transversale de la Présidence belge du Conseil de l’UE.

Ainsi, la Coopération belge au Développement soutient plusieurs projets liés, entre autres, aux droits à la santé sexuelle et reproductive des femmes, à la lutte contre les violences sexuelles et basées sur le genre, à l’accès égal des filles à l’éducation et à la promotion de l’entrepreneuriat féminin.
 

Une vision sclérosée


Cependant, l’attention portée aux femmes ne doit pas faire oublier le rôle tout à fait essentiel que jouent les hommes dans la problématique du genre. En effet, les difficultés rencontrées par les femmes sont souvent le résultat d’une vision sclérosée de la masculinité.

La masculinité est encore trop souvent synonyme de stéréotypes. Être fort, n’avoir peur de rien, privilégier la raison aux émotions, réussir financièrement, avoir une hétérosexualité active… Dans de nombreuses cultures, la virilité est associée à l’agressivité, la domination, la bravoure, l’indépendance, etc. À l’inverse, la femme stéréotypée apparaît docile, dépendante et faible.

Cette vision manichéenne de la masculinité (et de la féminité) peut s’avérer extrêmement néfaste voire toxique. Les femmes – mais également les hommes qui ne se retrouvent pas dans cette conception – se voient rabaissés, empêchés de s’épanouir et sujets aux discriminations.
 

Masculinité militarisée


Dans les zones de conflits s’ajoute également le phénomène de la « masculinité militarisée ». La masculinité y est liée au combat militaire, à l’usage de la violence et de la répression pour résoudre les conflits. Le rôle de protecteur valeureux qui recourt à la force pour défaire l’ « ennemi » confère à l’homme un certain statut, qui attire ainsi de nouvelles recrues. Les femmes combattantes adoptent elles aussi ce discours.

Si nous voulons réellement enregistrer des avancées dans la lutte pour l’égalité des genres, il devient impératif de s’attaquer à la « masculinité toxique (ou négative) ». La masculinité ne doit nullement aller de pair avec la domination et l’agression. Être « un homme, un vrai » n’empêche en rien l’empathie, la sollicitude, la collaboration, le dialogue d’égal à égal et la résolution pacifique des conflits.
 

Twuzuzanye : Let’s build Each Other, Together


Dès lors, la Coopération belge au Développement soutient un certain nombre de projets qui visent à transformer la masculinité toxique en « masculinité transformative ». Le projet Twuzuzanye : Let’s build Each Other, Together, mis en œuvre par l’ONG néerlandaise Impunity Watch en collaboration avec plusieurs ONG locales au Burundi, en constitue un bel exemple.

Ce pays d’Afrique centrale peut encore être considéré comme une société post-conflit. La plupart des anciens combattants ont été abandonnés à leur sort, dans un pays où le contexte politique est caractérisé par l’intolérance. Celle-ci s’exprime principalement entre les membres des divers partis politiques, en particulier par l’intermédiaire de leurs associations de jeunes. Par ailleurs, les femmes ont trop rarement voix au chapitre dans la culture patriarcale dominante. À l’approche des élections prévues pour 2025, il s’avérera d’autant plus essentiel d’œuvrer en faveur de la tolérance.

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Affiche avec un dessin représentant trois hommes en train de maçonner un mur. Le texte en dessous dit : "Chers jeunes Burundais, un vrai homme est celui qui respecte les autres : Chers jeunes burundais, un vrai homme est celui qui respecte les autres, qui ne s'adonne pas à la violence, ni envers les jeunes hommes, ni envers les jeunes filles, et qui n'abuse pas de sa force envers son entourage.

Affiche pour encourager les jeunes hommes à s’éloigner de la masculinité négative.

Promotion de la masculinité transformative


Au travers du projet Twuzuzanye, Impunity Watch a déployé d’importants efforts pour promouvoir la masculinité transformative, surtout auprès des jeunes. L’ONG a ainsi distribué un guide des formations sur la masculinité transformative dans plusieurs ONG et centres pour la jeunesse. Elle a également mis en place des caravanes de sensibilisation. De plus, elle a formé dix ONG pour qu’elles puissent à leur tour aborder le sujet avec les jeunes. Enfin, Impunity Watch a accompagné quatre centres pour la jeunesse afin d’entamer un dialogue avec les jeunes au sujet de la masculinité violente.

Bien évidemment, l’image simpliste dominante de la masculinité ne se déconstruit pas d’un simple claquement de doigt. Toutefois, via les ONG et les centres pour la jeunesse, le projet a au moins permis d’introduire de nouvelles conceptions en faveur de la masculinité transformative – pour laquelle il n’existait jusque-là aucun mot en kirundi, la langue du Burundi – et d’encourager la promotion de la masculinité transformative dans la société burundaise. En outre, le projet a mis en évidence l’importance de ne pas oublier les femmes, qui renforcent souvent la masculinité toxique au travers de l’éducation de leurs enfants.
 

Soutien psychosocial pour les ex-combattants


100 jeunes ex-combattants ont reçu des formations sur la démocratie et les droits humains mettant l’accent sur la représentation politique des femmes et la déconstruction de la « masculinité militarisée ». Les anciens soldats ont également bénéficié de l’aide de services de santé mentale et de soutien psychosocial. Ils ont ainsi pu mettre des mots sur leurs expériences traumatisantes et jeter un regard constructif sur leur passé.

« C’était la première fois depuis mon retour à la vie civile que j’étais en état d’évoquer mon passé douloureux, a témoigné un participant anonyme. J’ai été fortement marqué par les expériences traumatisantes que j’ai vécues sur le front et je ne voulais en parler à personne. Ce que je viens de raconter, je ne l’ai même jamais dit à ma femme. »

Un autre participant a expliqué comment la thérapie avait contribué à diminuer son agressivité. « Avant, j’étais rempli de haine, j’étais quelqu’un de fermé et de violent. Je ne voulais communiquer avec personne. Et si on me faisait quelque chose, je n’hésitais pas à me venger brutalement. Grâce au soutien psychosocial, je me suis senti de moins en moins violent. Aujourd’hui, j’évite la confrontation quand je ne suis pas d’accord avec quelqu’un. »

Une ex-combattante a déclaré, au terme de l’exercice, qu’elle commençait seulement à comprendre que son comportement violent et sa rage – y compris envers son fils – étaient liés à son passé de combattante et qu’elle le regrettait énormément.

Le soutien psychosocial a manifestement porté ses fruits. Les participants se sont engagés à adopter une attitude plus constructive en cas de divergences d’idées. En contribuant à la prévention de la violence et des conflits, cette approche se révèle bénéfique non seulement pour les individus, mais également pour l’ensemble de la société.
 

Soutien aux femmes dirigeantes


Bien qu’axé sur la masculinité, le projet n’en oublie pas pour autant les femmes elles-mêmes. L’objectif était surtout d’impliquer davantage de femmes dans la reconstruction de la société après le conflit. Ainsi, 68 femmes exerçant des fonctions dirigeantes ont pu approfondir leurs compétences en leadership. Elles ont organisé 16 forums communautaires pour faire entendre leur voix.

« Je suis fière d’être désormais reconnue par l’administration locale depuis que nous avons organisé un forum communautaire et que nous y avons invité des fonctionnaires locaux, s’est réjouie l’une des participantes. À présent, ils se tournent vers moi pour connaître mon opinion sur de nombreux sujets, pas seulement en ce qui concerne les femmes mais même sur des questions de sécurité. Cela montre que nos rôles de dirigeantes sont vraiment reconnus, maintenant. »

Enfin, Impunity Watch a mené une campagne active en ligne et à la radio afin de déjouer les clichés autour des femmes burundaises. L’ONG a ainsi mis en lumière des femmes relativement inconnues qui ont pourtant joué un grand rôle dans l’histoire du pays, mais aussi des femmes qui exercent des fonctions dirigeantes aux niveaux local et national. La campagne a également fait entendre la voix d’hommes et de femmes qui remettent en cause le leadership traditionnel du système patriarcal.

Toutes ces activités ont livré des résultats indéniables. Elles ont jeté les bases d’une prise de conscience progressive et répandu l’idée que les hommes peuvent eux aussi faire preuve d’empathie et de sollicitude, et que les femmes peuvent s’avérer de puissantes dirigeantes. Les projets menés ont ouvert la voie à des sociétés égalitaires et tolérantes dans lesquelles chacun a la liberté d’être soi-même.