Comment la communauté internationale agit-elle dans les situations de conflit ?

En février 2017, la Belgique a organisé un congrès de haut niveau sur la médiation. Jonas Claes, expert belge, était un des orateurs. Il a expliqué les méthodes pour éviter les conflits et contribuer à bâtir une paix durable.

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Des soldats montent la garde au marché, des femmes avec des enfants passent devant eux.

© ICRC

Quelles méthodes existent déjà pour la prévention des conflits ?

La communauté internationale - les Nations Unies, l'Union européenne, les gouvernements individuels en Occident, mais également les pays voisins, entre autres - s'attèlent à la tâche de manière diplomatique, mais aussi via l'aide au développement ou le commerce. Grâce aux incentives (stimuli), on peut encourager un bon comportement, et avec des sanctions, on peut en décourager un mauvais.

La médiation est un instrument de la diplomatie. En pratiquant la médiation, on intervient dans une situation de conflit en tant que personne extérieure indépendante. Cela ne peut fonctionner que si toutes les parties concernées vous considèrent comme « neutre ». Un médiateur doit tout d'abord connaitre les positions des différents camps, laisser ceux-ci communiquer entre eux et ainsi jeter des ponts. Cela implique que le conflit soit arrivé à une certaine maturité : les parties doivent être prêtes à faire des concessions. Cette volonté n'apparait que lorsqu'ils se rendent compte que la poursuite du conflit ne présente plus d'avantages. En d'autres termes, lorsque la recherche d'une solution est plus bénéfique que la violence.

Outre la diplomatie, les États concernés - le chef d’État, les partis politiques, la police, entre autres - jouent eux-mêmes un rôle décisif dans l'apparition ou non d'un conflit. De plus, les instruments que l'État contrôle sont la meilleure garantie de réussite, pour peu qu'ils soient bien utilisés. J'ai analysé cela lors des élections. Si la police peut intervenir de façon juste, si la communauté la respecte et si ses interventions sont régies par des règles claires, elle peut surveiller efficacement les bureaux de vote. D’autre part, des commissions électorales de qualité sont essentielles afin d'éviter les violences électorales. Ces commissions jouent en effet un rôle de premier plan très important si elles peuvent intervenir librement et indépendamment de l'État.

Afin d'éviter les conflits, il est préférable d'investir dans le bon fonctionnement d’un État. Actuellement, la diplomatie est très souvent engagée trop tardivement : lorsque la violence a déjà éclaté ou lorsqu’elle commence à se profiler. Il ne s'agit alors pas de prévention, mais d'un instrument de crise ayant peu d'effets à long terme.

Il existe naturellement de nombreux conflits potentiels dans le monde. La communauté internationale ne peut agir préventivement partout. Comment choisit-elle ?

Prenons l'exemple de la Lybie et de la Syrie, il y a 5 ou 6 ans. En Lybie, la communauté internationale est intervenue énergiquement, alors qu'en Syrie, la réponse s'est fait attendre. Ce fut une énorme déception pour les ONG. Cela n'est guère surprenant au vu des critères pratiqués pour intervenir ou non. Ainsi, la gravité de la situation joue évidemment un rôle, mais inévitablement aussi les intérêts propres : le nombre de concitoyens qui habitent la région, le commerce qu’on y fait, entre autres. En outre, les chances de réussite sont également prises en compte. En Syrie, celles-ci sont très maigres. Malheureusement, la prévention n'a encore que peu d'effet dans des situations complexes. On ne choisit donc pas toujours les cas où l'on pourrait être le plus efficace.

Il ressort de votre étude que les méthodes de prévention utilisées ne sont pas toujours adaptées au contexte. Pouvez-vous expliquer cela ?

Avant les élections, on remarque une tendance à investir dans les messages de paix (peace messaging) et les programmes pour la jeunesse (youth programming). Grâce au peace messaging, on rassemble de nombreux citoyens qui ne sont pas impliqués dans le jeu politique. Au Pakistan, un grand jeu de cricket a été organisé, au Malawi, de grands slogans ont été peints sur des wagons de train, entre autres. De cette manière, on souhaite encourager la population à ne pas céder à la violence ni à la provocation. Sur papier, l’approche parait efficace, mais elle n’induit pas de changement réel des comportements.

Le youth programming est également très populaire. En effet, la jeunesse, c'est l'avenir. Nous nous devons de leur enseigner l'éthique afin qu'ils se comportent plus tard de manière digne dans le monde politique. Les organisations pour la paix soutiennent l’initiative, d'autant plus que cette pratique est facile à mettre en œuvre.

De tels programmes doivent être mis en œuvre à très court terme, 3 à 4 mois avant les élections. Et ce délai est trop court ! Il n'est pas rare que l'on ne puisse pas les entamer plus tôt car les budgets ne sont pas encore disponibles.

Les deux méthodes rencontrent peu de succès. Le message est le suivant : agir plus tôt et soutenir l’état.Par exemple, en formant la police ou en créant des commissions électorales.

Que peut-on faire si un conflit fait rage ?

On peut au moins essayer d'éviter l’escalade de la violence (la situation peut en effet empirer à tout moment). On peut aussi protéger les populations les plus fragiles (les femmes et les enfants). Malheureusement, les viols sont fréquents lors des conflits. Pour protéger les plus vulnérables, on peut les héberger dans les pays voisins, dans des safe havens, qui peuvent évoluer en camps de réfugiés. Mais on peut également les garder dans le pays, près de leurs origines, et essayer de négocier des arrangements avec les belligérants : « Oui, tu as le droit de faire la guerre, mais pas sur ce territoire ». La Croix-Rouge internationale est très active dans ce genre de « dialogue humanitaire ».

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Deux employés de la Croix-Rouge négocient avec des soldats locaux

La médiation est un instrument de la diplomatie. En pratiquant la médiation, on intervient dans une situation de conflit en tant que personne extérieure indépendante. © ICRC

Est-ce également le cas en Syrie ?

Bien entendu. Mais il ne faut pas avoir de trop grandes attentes. Comme l'affirme Martin Griffiths de l'European Institute for Peace (EIP) : l'échec, c'est la règle ! L'EIP est spécialisé dans l’ouverture du dialogue avec les parties impliquées dans un conflit lourdement armé. Ce type de situations extrêmement difficiles nécessite de bonnes connexions et une bonne volonté certaine. Les chances de réussite sont très maigres. Mais en cas de succès, la récompense est énorme !

Comment contribuer à la paix si le conflit est « mature », comme vous le dites, et que les parties sont fatiguées du conflit ?

En tant que médiateur, il faut arriver au cœur du problème. Pour cela, il faut un minimum de terrain d'entente (common ground) chez les différentes parties.

La Colombie en est l'exemple parfait. On a rassemblé de manière très discrète les dirigeants de toutes les parties concernées dans un lieu neutre à Cuba. Premièrement, on a élaboré un agenda complet. Ce qui en soit est déjà un travail colossal : vérifier les sujets à aborder ou non. Dans ce domaine, on a le choix. Soit on commence sur les chapeaux de roue et on devient plus flexible par la suite, soit on commence de manière flexible et on devient plus strict au fur et à mesure du processus. Fisher le décrit brillamment dans le livre Getting to Yes.

Comment parvenir à une paix véritablement durable ?

Une paix véritablement durable se maintient d’elle-même. Notamment, par le biais d’institutions politiques et d’un système juridique solide qui permettent à la société de gérer les conflits pacifiquement.

C’est un processus très ambitieux, surtout après un conflit violent de grande ampleur. Personne ne peut tout oublier ni pardonner du jour au lendemain. La France et l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale sont deux modèles de réussite, mais même là-bas, il subsiste un certain ressentiment. Dans le cas du génocide au Rwanda, une réconciliation complète entre Hutus et Tutsis semble très irréaliste.

Aujourd’hui, de nouvelles formes de conflits ont vu le jour tels que le terrorisme international et la radicalisation. Comment aborder ces problèmes ?

Pour l’instant, nous ignorons comment appréhender des phénomènes tels que la radicalisation. En effet, la vision du monde au sein des organisations extrémistes violentes sont tellement éloignées qu’il est souvent impossible de trouver un terrain d’entente (common ground). Nous devons donc réfléchir attentivement avant d’envisager toute action. Nous devons d’abord nous s’assurer que ces actions n’engendreront aucun dommage. Mais à l’heure actuelle, nous avons peu d’indices sur ce qui fonctionne ou non, en-dehors de plusieurs anecdotes locales.

En fin de compte, peut-on effectivement négocier avec des groupes tels que l’EI, Boko Haram et Al Shabaab ? Aux États-Unis, il est totalement illégal, et donc punissable, de négocier avec des organisations extrémistes : ce sont après tout des terroristes. La Suisse se montre bien plus flexible. Ceci explique que certaines organisations de médiation s’installent en Suisse.

Qui est responsable des pourparlers de paix ?

Nombre d’organisations internationales comme les Nations Unies, l’UE et la Croix-Rouge internationale (CICR) s’emploient activement à négocier des objectifs politiques et humanitaires. Il en va de même pour les représentants nationaux. Ainsi, les pays possèdent souvent une importante expertise de leurs anciennes colonies et y exercent une grande influence. Par ailleurs, les acteurs locaux jouent souvent un rôle important et sous-estimé. Il peut s’agir par exemple d’un évêque, d’une personnalité jouissant d’un statut éminent et qui est respectée par toutes les ethnies. En effet, lors de la crise causée par les élections gabonaises, l’archevêque de Libreville avait attentivement examiné l’affaire et ensuite invité la communauté internationale à intervenir. De même, le Centre pour le dialogue humanitaire (HD Centre) installé à Genève joue un rôle très actif dans la médiation.

La médiation politique s’articule principalement sur la recherche d’une conciliation entre les parties au conflit. En revanche, la médiation humanitaire (CICR, HD Centre, entre autres) tente en première instance d’imposer des concessions afin de protéger les citoyens.

Quel est le rôle des médias ?

Les médias peuvent jouer un rôle positif en apportant des informations objectives qui permettent de protéger des personnes. La radio en particulier occupe la première place. Toutefois, les médias peuvent aussi diffuser des messages de haine et monter les groupes de population les uns contre les autres. Il est possible de prévoir des formations pour empêcher ces phénomènes et éviter la collusion entre les médias et la vie politique, et qu’en conséquence, l’opposition ne puisse ainsi pas avoir voix au chapitre. Effectivement, les médias sont souvent hautement politisés et cela s’avère problématique.

Toutefois, ils représentent une source objective d’informations dans de nombreux pays. À Nairobi, il est courant de voir quelqu’un avec un journal dans les mains. Aussi bien la presse écrite que la radio y sont fortement respectées. En revanche, ce n’est pas le cas partout.

Pensez-vous qu’il y ait plus ou moins de conflits aujourd’hui qu’aux siècles précédents ?

Après la guerre froide, le nombre de conflits et de victimes a légèrement diminué, mais la tendance s’est inversée. De plus, nous faisons face à de nouvelles formes de conflits entraînant de nouvelles victimes. La population est de plus en plus prise pour cible. De même, la Croix-Rouge et les forces de l’ONU ne sont plus épargnées à l’heure actuelle car elles ne sont plus considérés comme des acteurs neutres. De fait, la situation est encore plus complexe qu’avant.

Quelles sont les causes profondes de conflit ?

Un conflit est la conséquence naturelle des différences d’opinions. Un monde sans conflits n’est donc ni envisageable ni souhaitable. Le défi consiste à canaliser ces positions divergentes et à formuler une réponse acceptable pour tout un chacun. Malheureusement, ces différences d’opinions sont souvent manipulées par les dirigeants afin d’asseoir leur propre position dominante.

Peut-on envisager un monde en paix ?

C’est en tout cas un objectif auquel nous devons travailler. Y parviendrons-nous un jour ? Nous disposons quoiqu’il en soit de méthodes de gestion des conflits armés. Malheureusement, des ressources colossales sont allouées aux opérations de guerre et à la défense, tandis que « l’industrie de la paix » ainsi que la diplomatie et la coopération au développement doivent se contenter des restes.
 

Quel rôle joue la coopération au développement dans la consolidation de la paix ?

Elle est certainement importante. Les plaintes concernant un conflit peuvent être apaisées par la coopération au développement. S’il n’existe par exemple qu’un seul point d’accès aux matières premières indispensables, la coopération peut tout de même tenter d’offrir un accès, entre autres, à l’eau ou aux terrains fertiles pour tous. 

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Johan Claes

Jonas Claes est chercheur senior au U.S. Institute of Peace (USIP) à Washington, DC. Il se concentre surtout sur la recherche pour la prévention des violences électorales et les atrocités de masse, ainsi que la recherche de méthodes de lutte contre l’extrémisme violent. Il a obtenu son diplôme, un master en relations internationales, à la KU Leuven. Il a ensuite effectué un Master in Security Studies à l’université de Georgetown.

La Belgique organise une conférence internationale sur la médiation

Le 14 février 2017, Jonas Claes a participé, en tant qu’orateur, à la conférence sur la médiation organisée par le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders. Elle avait pour but de souligner l’intérêt de la médiation dans la résolution des conflits. Une douzaine de ministres et d’orateurs, entourés de quelque 300 diplomates et experts, ont échangé leurs expériences. L’initiative a été lancée suite au souhait exprimé par le nouveau secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, de se concentrer davantage sur la prévention des conflits et la médiation. Le slogan de la candidature belge pour un siège non permanent dans le Conseil de Sécurité des Nations Unies est ainsi mis en pratique : « Bâtir le consensus, agir pour la paix ».