Corona et compagnie : d’où viennent-ils ?

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Plantations de caoutchouc et d'huile de palme brûlées pour cause de déforestation

La déforestation et l'augmentation de l'agriculture créent beaucoup plus de lisières de forêts. Photo : déforestation pour les plantations de caoutchouc et d'huile de palme. © Shutterstock

Soudainement, un virus menace le monde entier. L’économie bat de l’aile et des milliards de personnes se voient obligées de rester « à la maison ». Il a fait son apparition à la manière d’un coup de tonnerre dans un ciel dégagé.

Vraiment ? Depuis des années, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) met en garde contre la « Maladie X ». Kevin Ariën, virologue à l’Institut de médecine tropicale (IMT), a informé plusieurs promotions d’étudiants sur l’avènement d’une telle pandémie.

Le concept « One Health », qui a le vent en poupe depuis les années 2000, est une vision holistique qui considère la santé des individus, des animaux et des écosystèmes comme formant un tout. Il vise précisément la prévention des pandémies. « L’IMT s’efforce également d’appliquer ce principe », explique M. Ariën.

Zoonose

L’interconnexion entre la santé des individus et celle des animaux est un fait établi. Deux tiers à trois quarts des nouvelles maladies infectieuses apparues ces 60 dernières années sont d’origine animale ! Citons Ebola, le SIDA, le MERS, le SARS… (voir plus loin). Le COVID-19, la maladie causée par l’actuel coronavirus SARS-CoV-2, est également une « zoonose » : une maladie infectieuse dont l’agent pathogène a été transmis de l’animal à l’homme.

Il semblerait que le SARS-CoV-2 provienne d’une chauve-souris, plus précisément d’une chauve-souris chinoise du genre Rhinolophe. « Un coronavirus avec un génome identique à 96 % à celui du SARS-CoV-2 a été détecté chez ces mammifères », explique Kevin Ariën. « Mais ce virus a probablement d’abord poursuivi son évolution chez un hôte intermédiaire plus proche de l’être humain. Nous l’avons précédemment constaté avec le coronavirus SARS-CoV-1 qui a provoqué le SRAS : il est passé par la civette. Le virus MERS, provenant à l’origine d’une chauve-souris, a été transmis à un camélidé avant de contaminer l’homme. Le pangolin a sans doute servi d’hôte pour le SARS-CoV-2. En Chine, ces animaux sont très convoités pour les vertus thérapeutiques que l’on prête à leurs écailles mais aussi pour leur viande. »

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Pangolin

Il est possible que le pangolin ait servi d'hôte intermédiaire pour le SRAS-CoV-2. Les pangolins sont très demandés en Chine, pour le pouvoir de guérison de la balance, mais aussi comme viande. © Shutterstock

Marchés d’animaux sauvages

Le « marché humide » de Wuhan en particulier est pointé du doigt comme le lieu de transmission du nouveau coronavirus à l’homme. Les marchés humides sont, un peu comme chez nous, de grands marchés où l’on peut acheter de tout : fruits, légumes, viande et poisson frais, herbes et épices… Le vrai danger réside dans les « marchés d’animaux sauvages », où sont commercialisés des bêtes telles que le blaireau, le rhizomyinae, le porc-épic à crête, la civette, le scorpion, la tortue, la chauve-souris, et bien d’autres encore. « Les cages sont entassées côte à côte et les unes sur les autres ; les fèces et l’urine tombent d’un animal à l’autre. Lorsque les animaux sont abattus, leur sang gicle alentour. Un laboratoire vivant pour les virus », c’est ainsi que le zoologue Herwig Leirs (UAntwerpen) a décrit la situation dans MO*. La consommation d’animaux sauvages, mais aussi le contact avec l’urine, les déjections et le sang peuvent entraîner une contamination.

« Ces marchés d’animaux sauvages sont populaires en Chine et dans d’autres pays asiatiques », déclare Kevin Ariën. « Ces espaces ont certainement constitué les foyers de zoonoses telles que la grippe aviaire. Toutefois, la situation est plus complexe en ce qui concerne le COVID-19. 14 des 50 premiers cas ne pouvaient pas être reliés au marché sauvage de Wuhan. Mais ce dernier n’en a pas moins joué un rôle déclencheur. »

Le contact avec des animaux (sauvages) est ancré dans de nombreuses cultures. « En Afrique, mais aussi en Asie du sud-est et en Amérique latine, des millions de personnes dépendent de la viande des animaux (sauvages), communément désignée sous le nom de « viande de brousse » ou viande de gibier, pour leur apport en protéines. Dans ces pays, l’achat d’un animal vivant constitue souvent la seule garantie de consommer de la viande fraîche. Par exemple, l’abattage d’une poule vivante que l’on a laissée paître librement pendant une semaine peut naturellement entraîner la transmission d’agents pathogènes à l’humain. »

À cela s’ajoute que les citadins plus riches apprécient la viande de gibier. « Par le passé, la viande brousse n’était vendue qu’au sein des communautés locales », affirme Herwig Leirs. « Aujourd’hui, elle constitue un plat raffiné pour les citadins bien nantis. Les animaux sont transportés sur de longues distances et transitent par d'immenses mégalopoles, avec les maladies dont ils sont porteurs. Ces dernières peuvent facilement s’y propager. »

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Chasseur de gibier à Yangambi

Pour beaucoup, la "viande de brousse" est une source de nourriture et/ou de revenus. Photo : un chasseur chasse du gibier à Yangambi, RD Congo. © Axel Fassio/CIFOR

Déforestation

La déforestation joue un rôle indéniable. « L’abattage des forêts contraint les animaux sauvages à quitter leur habitat ou à se rassembler dans des biotopes plus petits. Cette concentration les place davantage en contact les uns avec les autres, ce qui augmente les risques de transmission d’agents pathogènes. »

La déforestation accentue la fragmentation du paysage, également en Afrique. Demeurent – en dehors des parcs protégés – des petits îlots de forêt dans une mer de terres agricoles, en marge de zones où les terres agricoles empiètent sur les forêts. La lisière s’étend beaucoup plus et les risques de contact entre les êtres humains et des animaux sauvages tels que les singes se multiplient. Certains, par exemple, se rendent dans les forêts à la recherche d’arbrisseaux dont la forme de poteau permet une utilisation dans des travaux de construction.

La chasse au gibier de brousse attire de plus en plus souvent les êtres humains dans les forêts. Un sentier permet d’y accéder, mais constitue de facto une possibilité supplémentaire de contact. Il en va de même pour les villages bâtis sur des terres autrefois sauvages. « Les communautés autochtones ont acquis une immunité au fil du temps », explique Herwig Leirs. « Mais de nos jours, des ouvriers viennent de partout pour construire une route ou exploiter des matières premières dans les forêts tropicales. Ces personnes n’ont pas d’immunité. En outre, elles peuvent être porteuses d’un virus ou d’une bactérie lorsqu’elles retournent chez elles. »

Les chauves-souris et les rongeurs peuvent assez facilement se déplacer des zones déboisées et s’adapter dans des territoires occupés par les êtres humains. Par exemple, les chauves-souris sont parfois attirées par les vergers. « Ce fut le cas pour le virus Nipah en Malaisie (1999), où les chauves-souris frugivores se nourrissent de durian et de ramboutan. Leurs déjections et leur urine infectent les porcs qui paissent dans les vergers, qui à leur tour transmettent le virus à l’homme », a affirmé Olivier Honnay, biologiste de conservation à la KULeuven dans le magazine EOS.

Changement climatique

Le changement climatique joue également un rôle dans la propagation de nouvelles zoonoses. « Son impact ressort clairement dans les maladies transmises par les moustiques et autres insectes », déclare Kevin Ariën. « Les maladies dites tropicales telles que la maladie à virus Zika, la dengue et le chikungunya se diffusent de plus en plus à travers le monde occidental. Le moustique-tigre asiatique, par exemple, s’est établi dans le sud de l’Europe. L’insecte se sent totalement à l’aise dans ce climat plus chaud. »

Élevage intensif

L’élevage intensif peut également contribuer à l’augmentation des zoonoses. Herwig Leirs explique ce phénomène. « Si un nombre limité d’animaux coexistent, les virus se propageront moins facilement. Admettons que je possède 5 poulets et qu’un oiseau laisse tomber quelque chose en les survolant. Un des poulets pourrait être infecté. Mais en général, un virus rencontre des difficultés à survivre dans un nouvel hôte intermédiaire et une sélection naturelle assure une multiplication plus efficace. Si, après la phase d’adaptation, le virus modifié ne peut pas se propager parce que le poulet est guéri ou a succombé, l’infection disparaît. En tout cas, le virus ne possède que 4 possibilités d’évoluer dans un autre poulet. »

« Mais si des animaux se rassemblent en masse, les risques d’entrer en contact avec le virus étranger augmentent. En outre, il peut facilement se propager à d’autres animaux. Chaque fois que le virus se multiplie, des erreurs – mutations – peuvent survenir dans le matériel génétique. La majeure partie de ces erreurs compliquent la multiplication, mais les mutations qui favorisent la multiplication sont rapidement retenues. Le virus trouve donc davantage de possibilités d’évolution et d’adaptation au nouvel hôte dans l’élevage intensif. »

« L’augmentation du nombre d’animaux expose davantage les êtres humains au risque d’entrer en contact avec des animaux contaminés. S’ajoute que les animaux d’élevage sont souvent moins résistants aux infections. En effet, ils sont élevés à des fins de consommation rapide de viande ou de production d’œufs ou de lait. Par conséquent, leur organisme présente moins de capacités à tuer l’agent pathogène, ils tombent facilement malades. Ils reçoivent alors des antibiotiques, mais ceux-ci favorisent la sélection de bactéries résistantes qui à leur tour peuvent provoquer de nouvelles maladies. »

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Rue animée à Mumbai

Les grandes villes sont un biotope fantastique pour la propagation rapide d'un virus. Photo : Mumbai. © Shutterstock

Voyages et mégalopoles

Pourquoi un nouvel agent pathogène peut-il se transformer plus rapidement en une pandémie ou une épidémie mondiale aujourd'hui ? Selon Kevin Ariën,  « la dernière grande pandémie, la grippe espagnole en 1918 et 1919, a tué 20 à 50 millions de personnes dans le monde. Pourtant, c'était un monde complètement différent. Les gens se déplaçaient encore principalement à pied, à vélo ou à cheval et en charrette. La population mondiale s’élevait alors à 1,7 milliard de personnes, contre près de 8 milliards aujourd'hui. Des centaines de milliers d'avions volent chaque jour à travers le monde pour le commerce international et les voyages privés. Le SARS-CoV-2 a ainsi pu se propager aux quatre coins du monde depuis la Chine en quelques jours seulement ! »

De plus, nous avons de plus en plus tendance à nous regrouper dans de grandes villes. Kevin Ariën explique : «  En 1918, la population était beaucoup plus dispersée dans les campagnes. Aujourd'hui, il existe des dizaines de mégalopoles, notamment en Asie, en Afrique de l'Ouest et en Amérique latine. Plusieurs d'entre elles comptent plus de 20 millions d'habitants. Les villes européennes ne font même plus partie du top 25. Ces grandes villes abritent évidemment un biotope fantastique pour la propagation rapide d'un virus. L'une des raisons pour lesquelles le nouveau coronavirus frappe moins violemment la Scandinavie tient précisément au fait que les populations y vivent encore largement éparpillées sur le territoire. »

Solutions

Il existe donc un cocktail de facteurs qui contribuent tous à accélérer l'émergence d'une pandémie : une croissance démographique débridée qui contraint les villes à se regrouper et à détruire la nature par besoin d'espace, la pauvreté et la faim, les habitudes culturelles, l'élevage intensif ainsi que le commerce et les voyages internationaux.

Ces causes sous-jacentes renvoient directement à des solutions possibles. Kevin Ariën explique : « Il est évident que nous devons complètement revoir la gestion de notre environnement. Les animaux ont besoin de plus d'espace et nous devons limiter nos interventions. Faute de quoi, il nous faudra accepter les agents pathogènes ! »

Olivier Honnay propose de créer des zones tampons (telles que des pépinières ou des projets de reforestation) entre les habitats naturels abritant la faune et les zones occupées par l'homme. Cela permettra de réduire le risque de contact entre les humains et les animaux. Une meilleure durabilité des chaînes d'approvisionnement en produits agricoles tels que le soja et l'huile de palme préservera davantage les forêts.

Il semble également essentiel de restreindre les marchés et le commerce des animaux sauvages (voir encadré « animaux exotiques »). Fin janvier, la Chine a déjà émis une interdiction temporaire de vente d'animaux sauvages. « Mais cette décision se heurte alors à des habitudes culturellement bien ancrées », explique Kevin Ariën. « Il en va de même pour la viande de brousse en Afrique. La tâche est immense pour les anthropologues qui doivent trouver une méthode pour convaincre les populations ». L'augmentation de la productivité agricole afin de réduire les besoins en viande de brousse ou de fournir des revenus alternatifs pourrait contribuer à cette amélioration. Considérez qu'en Chine, par exemple, les revenus d'au moins 14 millions de personnes dépendent du commerce, de l'élevage et de la chasse d'animaux sauvages.

Commerce international d'animaux exotiques

Le commerce international des animaux exotiques semble être l'un des marchés les plus importants et les plus complexes au monde. Pour tenter de contrôler ce phénomène, la communauté internationale a élaboré la ‘Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction’, connue par son sigle CITES. Ce document recense 5 800 espèces animales et 30 000 espèces végétales qui ne peuvent être commercialisées que dans des conditions strictes.

Mais ses dispositions s'avèrent très difficile à appliquer. Même en Belgique, une grande quantité de viande de brousse se retrouve à côté d'animaux vivants (souvent des reptiles) et de viande illicite provenant d'espèces non protégées, de bovins et de petits animaux. C'est pourquoi Erik Verheyen, biologiste à l'Institut royal des Sciences naturelles de Belgique et à l'UAntwerp, préconise des contrôles beaucoup plus stricts à tous les points d'importation internationaux (aéroports, ports, etc.).

« En outre, les amateurs d'animaux sauvages doivent prendre davantage conscience des conséquences de leur choix », déclare M. Verheyen. « Certains raffolent d’une espèce, d'autres pensent qu'il s'agit de mets délicats. Mais leur comportement contribue à l'extinction d'espèces menacées et augmente le risque d'importation d'agents pathogènes. Bien qu'il existe des sanctions financières bien définies, les contrevenants potentiels n'en ont souvent pas connaissance. Par ailleurs, ces sanctions sont très rarement appliquées. Enfin, les compagnies aériennes devraient sensibiliser leurs clients au moyen d'affiches et de brochures ». Les voyageurs ne sont pas non plus autorisés à rapporter des souvenirs illégaux (voir l'encadré « conseils aux voyageurs »).

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Animaux en voie de disparition dans une cage sur le marché

Malgré le traité international CITES, beaucoup de gibier continue à passer entre les mailles du filet. Photo : marché avec des animaux illégaux en voie de disparition au Myanmar. © Dan Bennett/Flickr

Le ralentissement de la croissance démographique est également une voie qui passe par l'émancipation des jeunes femmes. Herwig Leirs évoque notre grande consommation de produits d’origine animale. « Ne pouvons-nous pas nous contenter de moins de viande pour pouvoir la produire de manière plus extensive ? Aujourd'hui, nous abattons les forêts pour permettre au bétail de paître ou pour semer du soja sur les terres défrichées afin d'alimenter le bétail. Si nous consommions moins de viande, la pression exercée sur les forêts diminuerait ».

Alerte précoce

Mais même dans un monde idéal où nous prenons davantage de précautions avec les animaux, on ne peut exclure la possibilité de voir émerger de nouvelles maladies. C'est pourquoi Kevin Ariën plaide avec force pour la prévention. « Nous devons investir beaucoup plus dans la détection et l'alerte précoce (early warning). Un peu à l’instar des bouées qui ont été placées partout dans les océans après le tsunami et qui peuvent avertir à temps de l'imminence d'un raz-de-marée. Nous pouvons mettre en place un système similaire pour les épidémies virales. Techniquement, c'est possible. Jusqu'à présent, nous avons toujours eu beaucoup de retard. »

« Mais concrétiser cet objectif implique de disposer de moyens et de matériel en suffisance ainsi que de personnes bien formées. La RD Congo, par exemple, investit peu dans la santé publique mais plutôt dans le traitement d'une maladie tel qu'un vaccin ;rès peu en matière de prévention, dont l'importance est encore largement ignorée. Il est vrai que l’établissement de diagnostics précoces nécessite des milliards d’euros. Mais l'épidémie actuelle nous coûtera beaucoup plus cher ! »

« Nous le constatons sans cesse. Le SRAS a déclenché la recherche mondiale sur les coronavirus. Nous avions conscience du danger que représentaient certaines de ces infections Mais après quelques années, une grande partie du financement a été retirée. Le sentiment de nécessité a simplement disparu. Je ne me fais aucune illusion sur le fait qu’à l’issue de cette pandémie de corona, nous allons retomber dans nos travers. Néanmoins, nous devrions tirer des leçons de la crise actuelle pour mieux l'affronter à l'avenir.

Conseils aux voyageurs

Il est fortement conseillé à toute personne souhaitant entreprendre un voyage lointain de se rendre préalablement dans une clinique du voyage spécialisée telle que l'IMT. Vous trouverez ici une liste des centres belges. Objectif : informer le voyageur de manière professionnelle sur les risques actuels pour la santé, en particulier pour la destination prévue et le type de voyage. La santé et l'état du voyageur peuvent également être pris en compte. Sur cette base, il peut recevoir des conseils appropriés sur ce qu'il faut faire en cas de maladie pendant ou après le voyage. L'application Wanda de l'IMT peut parfaitement faire l’affaire, mais ne remplace pas la consultation avant votre voyage.

Il est évident que les voyageurs doivent respecter la législation en vigueur et ne peuvent emporter aucun souvenir illégal, tel que des animaux ou des plantes menacés. Au sein de l'UE, vous ne pouvez pas introduire de végétaux ou de parties de végétaux provenant de pays tiers, sauf s'ils sont accompagnés d'un « certificat phytosanitaire » reconnu. Les exceptions sont : l'ananas, les dattes, les bananes, la noix de coco et le durian.