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Mwamini Nicodemus (à droite) a suivi les programmes DigiMali et Panda Digital et possède désormais un magasin de lunettes branché à Dar es Salaam (© Imani Nsamila).
L'ONG tanzanienne Her Initiative a reçu le KBF Prix Afrique des mains du roi Philippe et de la reine Mathilde le 27 juin 2024. Grâce à l'autonomisation économique et à l'alphabétisation numérique, l'ONG a contribué à l'indépendance financière de milliers de femmes. Cette initiative répond à un besoin pressant dans un pays où plus de la moitié des jeunes femmes vivent dans la pauvreté et souffrent d'un manque de confiance en elles.
Selon un récent recensement, la Tanzanie compte quelque 61 millions d'habitants, dont 51 % de femmes. Et ces Tanzaniennes ont la vie dure. La pauvreté touche en effet beaucoup plus de femmes que d'hommes. Quelque 40 % de jeunes femmes sont victimes de violences fondées sur le genre ; un pourcentage tout aussi élevé a contracté le VIH.
17 seaux de maïs
Même si les garçons et les filles fréquentent l'école primaire, la proportion de filles qui abandonnent l'école au niveau secondaire est énorme. Ce phénomène s'explique en partie par les grossesses précoces. De plus, les filles se marient fréquemment dès l'âge de 13-14 ans. Souvent, la pauvreté oblige les parents à marier leurs filles en échange de vivres, parfois contre 17 seaux de maïs.
Dans le domaine du leadership, les femmes peinent également à s'imposer. Au niveau national – ministres, parlement... – les femmes possèdent une représentation d’environ 37 %. Elles occupent pour la plupart des « sièges spéciaux », une sorte de quota visant à augmenter la proportion de femmes dont les compétences n'en restent pas moins remises en question par l'opinion publique.
Au niveau local, la situation est encore plus désastreuse. Dans les villages, seuls 2 % des dirigeants sont des femmes, alors que dans les wards – une ville, une partie d'une grande ville ou un groupe de villages – le chiffre atteint 7 %.
Le manque d'éducation conduit à l'analphabétisme. En outre, les femmes ne possèdent pratiquement aucun bien et peinent à accéder aux institutions financières afin d'obtenir un microcrédit pour leur entreprise, par exemple. Il n'est donc pas étonnant que les Tanzaniennes souffrent d'un grave manque de confiance en elles.
Lydia Charles Moyo, fondatrice et PDG de Her Initiative : Oui pour la liberté financière ! (© Imani Nsamila)
Teen Girls Support Initiative
Lydia Charles Moyo (28 ans) en a fait l'expérience. Elle a grandi dans une extrême pauvreté au sein d'une famille dirigée par une mère qui n'avait même pas fréquenté l'enseignement fondamental. Pourtant, après ses études primaires, Lydia a été sélectionnée pour fréquenter une école secondaire publique dans le ward.
Elle y a toutefois rapidement constaté à quel point les conditions de scolarité étaient difficiles. Les ressources faisaient défaut, l’établissement ne comptait aucune bibliothèque et trop peu d'enseignants. De plus, la jeune élève devait marcher pendant près d'une heure pour se rendre à l'école. De nombreuses filles abandonnaient leur scolarité en raison de grossesses ou du poids des corvées domestiques.
En fin de compte, sur les 200 étudiants inscrits initialement à l'école, seuls neuf ont poursuivi des études supérieures : six garçons et trois filles, dont Lydia. Elle a de plus en plus réalisé que bien davantage de femmes pourraient progresser si elles évoluaient dans un environnement propice.
C'est pourquoi, à l'âge de 17 ans, Lydia - ainsi que les deux autres filles qui ont réussi à décrocher leur diplôme - a lancé des campagnes à l'école. L'objectif était de renforcer la confiance en soi des jeunes filles. Pour ce faire, elle a invité des personnalités issues de divers horizons tels que le milieu juridique, le secteur littéraire ou le monde musical. Cette Teen Girls Support Initiative lui a permis de toucher quelque 1 000 jeunes filles.
Pendant ses études universitaires à Dar es Salaam - elle a étudié les relations publiques et la publicité - elle a organisé des événements dits panda (panda signifie « planter » en swahili). Elle y invitait des orateurs populaires qui engageaient les jeunes filles à devenir plus indépendantes financièrement, par exemple en créant leur propre entreprise.
Une fois diplômée, elle a travaillé en qualité de présentatrice radio pour une ONG axée sur le leadership. Mais elle est vite revenue à son travail de campagne, qu'elle a transformé en une ONG à part entière baptisée Her Initiative
Pour de beaux ongles, il faut aller à l’institut des ongles BossyNails ! La propriétaire Amina Ndazi (à droite) a suivi la formation Panda on the Ground (© Imani Nsamila).
Changer les mentalités
Comment rendre les adolescentes et les jeunes femmes (jusqu'à 35 ans) financièrement indépendantes ? Her Initiative mise sur l'autonomisation économique et l'alphabétisation numérique. Il importe en outre de faire évoluer les mentalités, c'est-à-dire l'ensemble des concepts et idées préconçues qui déterminent le comportement des femmes ! Les informer sur leurs droits, leur apprendre qui elles sont et développer leurs compétences constituent autant de moyens de parvenir à ce changement. Lorsque les femmes créent leurs propres produits ou services, elles apprennent à conquérir une clientèle et à accéder à des ressources financières.
Au sein de l'organisation Her Initiative, elles prennent également conscience que la technologie (numérique) constitue une réalité d'aujourd'hui et non pas de demain. Si les jeunes entrepreneuses présentent leurs produits de manière attrayante sur Instagram, par exemple, elles parviennent ainsi à convaincre des clients. Cette méthode rapide et peu coûteuse leur permet de se dispenser d'un magasin.
Grâce à une meilleure connaissance d'elles-mêmes et à une progression graduelle vers des résultats positifs, leur confiance en elles se trouve considérablement renforcée.
Mais Her Initiative cherche également à créer un « environnement propice » en plaidant pour la mise en place de politiques plus efficaces et de lois favorables. La société tanzanienne doit reconnaître et respecter le rôle productif des femmes et leur permettre de contribuer à l'élaboration des politiques.
15 000 jeunes femmes
Pour atteindre son objectif, Her Initiative a mis au point neuf programmes, destinés à des groupes cibles différents, mais tous interdépendants. Par exemple, plus de 5 000 jeunes entrepreneuses se sont déjà qualifiées pour Panda Digital. Grâce à cette plateforme d'apprentissage en ligne disponible en swahili, elles peuvent acquérir des compétences à leur propre rythme et bénéficier d'un accompagnement personnalisé pour leur entreprise.
Jusqu'à présent, les Mishiko Clubs ont dispensé une instruction financière à plus de 1 000 jeunes filles issues de dix écoles secondaires de Dar es Salaam. Elles ont également reçu des conseils en matière d'épargne et de revenus complémentaires. Her Initiative espère ainsi inciter ces jeunes filles à rester à l'école. Le projet Plan B soutient les adolescentes qui ont déjà abandonné l'école, tout en luttant contre la violence fondée sur le genre.
Après à peine cinq ans d'existence, Her Initiative peut se féliciter de son bilan. L'ONG a réussi, par exemple, à aider plus de 15 000 jeunes femmes. 2 805 jeunes entrepreneuses ont adopté une méthode de travail numérique, et 210 d'entre elles ont créé une nouvelle entreprise. En outre, 18 organisations dirigées par des jeunes ont bénéficié d'un soutien.
Leah Jackob Nteba a dû quitter l’école plus tôt mais a été repêchée par le projet Plan B. Elle a maintenant son propre étal de fruits et légumes à la campagne (district de Kisarawe) (© Imani Nsamila).
KBF Prix Afrique
Her Initiative a convaincu plusieurs sponsors. Citons ONU Femmes, le Fonds Malala, les Pays-Bas et la Roddenberry Foundation. Cependant, l'ONG cherche à acquérir une plus grande indépendance financière afin d’inscrire son action dans la durée. Elle a donc créé un fonds d'investissement et sollicité des donateurs potentiels.
Et elle se voit maintenant décerner le KBF Prix Afrique, dont la valeur financière s'élève à 200 000 euros. Cet argent servira, entre autres, à développer ses programmes à plus grande échelle. Par exemple, Her Initiative aimerait étendre Panda Digital à l'ensemble de la région de langue swahili, y compris à l'étranger. Actuellement, l'ONG est physiquement active dans 6 des 26 régions de Tanzanie. Elle souhaite également étendre ses activités à d'autres régions.
Mais le KBF Prix Afrique représente bien plus qu'une somme d'argent, il constitue une véritable opportunité. Il s'accompagne d'une assistance technique, offre la possibilité de nouer des liens avec d'autres donateurs et de mieux comprendre les défis du monde.
Confiance en soi
Dans tous les cas, la motivation de Lydia et de ses quatre collaborateurs ne faiblit pas. Ne serait-ce qu’en raison de la multiplication des exemples de belles réussites. Citons entre autres Rosy, qui réalise des arrangements floraux pour décorer des fêtes de mariage. Dépourvue de toute confiance en elle avant de rejoindre Panda Digital, elle publie aujourd'hui de superbes photos de ses compositions florales sur les réseaux sociaux et compte plus d'une centaine de clients.
Il en va de même pour cette femme qui a réussi à créer une entreprise florissante pour venir en aide aux femmes allaitantes. Il existe une forte demande de soutien et, grâce à l'approche numérique, elle a désormais de nombreuses clientes.
Citons encore ce jeune médecin qui ne parvenait pas à se lancer dans la vie active. Lui aussi est passé à une approche numérique qui offrait une assistance lors de la grossesse. Il a pris conscience de l'énorme demande de kits médicaux qu'il vend aujourd'hui.
Autant de vies transformées de manière étonnante, assorties d'un remarquable regain de confiance en soi ! Et c'est là tout l'intérêt de Her Initiative.
KBF Prix Afrique
Le KBF Prix Afrique récompense des organisations africaines qui contribuent à améliorer durablement la vie des populations en Afrique. Décerné tous les deux ans, le prix met en lumière les nombreux récits, défis et succès inspirants qui émergent du continent africain.
Outre le prix de 200 000 euros, le lauréat aura l'occasion de nouer des liens et des partenariats dans le monde entier, d'accroître sa visibilité et d'attirer l'attention d'un public international sur son projet.
Le prix est remis par la Fondation Roi Baudouin en présence de notre couple royal et de la ministre de la Coopération au développement.
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