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Le Roi Philippe s'adresse au Conseil de sécurité pendant la présidence belge en février 2020. Thème : les enfants et les conflits armés. Au fond, l'ancien ambassadeur Pecsteen (à gauche) et l’ancien ministre des affaires étrangères Goffin. © UN Photo/Eskinder Debebe
À la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, la Belgique était désorientée et dans les cordes. Sur une période de 40 ans, pas moins de 2 guerres mondiales ont dévasté notre pays. Comment est-ce qu'un petit pays comme la Belgique pouvait tenir le coup dans un monde dangereux avec de puissants voisins jaloux ? Car la politique de neutralité (la Belgique comme pays neutre) n'a clairement pas fonctionné.
Paul-Henri Spaak s'adresse à la première session de l'Assemblée générale des Nations unies en 1945. © UN Photo
Multilatéralisme
Le Premier ministre de l'époque Paul-Henri Spaak était convaincu que la collaboration mondiale ou le « multilatéralisme » offrait une porte de sortie. Pour cette raison, il s'est fortement impliqué dans la création de l'Organisation des Nations Unies (ONU) en 1945. Il est même devenu le premier président de la première séance de l'Assemblée générale ! Peu de temps après la constitution du Conseil de sécurité des Nations Unies (le garant de la paix et de la sécurité dans le monde), la Belgique est devenue membre non permanent en 1947-1948.
Dès le début, Paul-Henri Spaak était conscient que l'ONU ne serait pas suffisante pour assurer la sécurité de la Belgique. En effet, il estimait que le Conseil de sécurité contenait une « erreur de construction » évidente, à savoir le droit de veto. Les 5 membres permanents (les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, dont les États-Unis et l'Union soviétique) ont ainsi reçu ce droit qui leur permet de bloquer un sujet. Une grande puissance pouvait dès lors envahir un pays plus petit et ensuite éviter que la communauté internationale n'intervienne.
« La Belgique n'a jamais été réellement un partisan du droit de veto. Mais les Belges ont été suffisamment pragmatiques pour se rendre compte qu'il s'agissait du prix à payer pour garder les grandes puissances dans le projet », explique Axel Kenes, directeur général des affaires multilatérales au SPF Affaires étrangères et diplomate à New York pendant le mandat de la Belgique au sein du Conseil de sécurité en 2007-2008. Sans ce droit de veto, les grandes puissances se seraient détournées de l'ONU et nous serions encore plus loin d'atteindre nos objectifs.
« Afin de garantir la sécurité de la Belgique, Paul-Henri Spaak militait dès lors au même moment pour une collaboration régionale, d'abord avec le Benelux, ensuite au sein d'une communauté européenne. » L'OTAN en tant que puissance de sécurité régionale constituait également l'un de ses chevaux de bataille.
Prospérité
« En plus de la sécurité, notre prospérité, et donc notre économie, constituait également une raison incontournable pour encourager la collaboration internationale », souligne Kenes. « Un petit pays vit au travers du commerce et nécessite dès lors un marché extérieur de grande taille ». Et autant pour la sécurité que pour l'économie, un cadre multilatéral solide avec des règles fortes sont indispensables. Pour cette raison, Paul-Henri Spaak était un défenseur de la Cour internationale de Justice comme faisant partie intégrante de l'ONU. Des règles juridiquement contraignantes ont ainsi pu être imposées, à la fois pour les petits pays et les grands.
Le multilatéralisme est dès lors profondément ancré dans l'ADN de la Belgique. Pour cette raison, notre pays s'est toujours senti étroitement impliqué dans l'ONU. Il a par ailleurs déjà été 6 fois membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Une excellente performance pour un petit pays, qui se classe ainsi au même niveau que l'Allemagne et le Canada.
L'ancien ministre des affaires étrangères Karel De Gucht s'adresse au Conseil de sécurité lors du mandat de la Belgique en 2008. A l'extrême droite, le ministre de la coopération au développement de l'époque, Charles Michel. © UN Photo/Rick Bajornas
Vision élargie de la sécurité
Toutefois, la Belgique n'est pas seulement régulièrement membre, elle exerce aussi une véritable influence sur l'ordre du jour. Notre pays a ainsi contribué notablement à la vision actuelle beaucoup plus élargie de la notion de « sécurité ». Initialement, le mandat du Conseil de sécurité (paix et sécurité internationale) se limitait aux conflits militaires entre les pays. Mais la chute du mur de Berlin en 1989 (lorsque la polarisation paralysante entre les États-Unis et la Russie a été abandonnée) a permis de faire évoluer le concept de sécurité de manière spectaculaire. La Belgique a été l'un des principaux acteurs de ce changement.
La « sécurité des pays » s'est ainsi élargie à la « sécurité des personnes ». Pendant son mandat de 1991-1992, notre pays a pris plusieurs initiatives pour pousser le Conseil de sécurité à intervenir contre des violations des droits de l'Homme. Les catastrophes humanitaires sont ensuite également entrées dans le viseur.
« La définition de la sécurité s’est de plus en plus enrichie », explique Kenes. « La Belgique préfère prévenir que guérir. Pour cette raison, nous avons milité pour la médiation en vue d'éviter les conflits. Nous estimons également que le climat exerce une influence notable sur la sécurité, opinion qui n'est pas réellement partagée par la Chine et la Russie. »
Souveraineté
La définition de « souveraineté » (ou autodétermination) a également évolué. L'ONU a bien entendu rassemblé des pays en 1945, mais elle a également respecté leur « souveraineté » : ils sont restés responsables de leurs affaires intérieures, sur lesquelles les autres pays n'avaient aucune prise. Mais la constitution du Conseil de sécurité obligeait malgré tout les pays à renoncer à une partie de leur souveraineté. Le conseil pouvait effectivement imposer des règles contraignantes à un pays.
Et ce n'est pas tout. À ce jour, le Conseil de sécurité peut (notamment sous l'impulsion de la Belgique) ainsi également intervenir dans un pays où l'oppression d'un dictateur devient incontrôlable. L'ONU a effectivement reçu en 2005 la « responsabilité de protéger » (responsibility to protect) en cas de génocide, de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l'humanité. La Belgique fait de son mieux pour incorporer le plus possible cette « norme R2P » dans les résolutions du Conseil de sécurité.
Lors de son mandat de 2007-2008, la Belgique est également parvenue à placer l'exploitation illégale de ressources naturelles à l'ordre du jour. En effet, de telles exploitations financent souvent les seigneurs de guerre qui sont capables de déstabiliser une région entière.
Partisans
Comment est-ce que la petite Belgique parvient à jouer dans la cour des grands ? Elle recherche le soutien de partisans pour placer une question à l'ordre du jour. La Belgique a ainsi reçu le soutien d'autres pays pour l'exploitation des ressources naturelles, alors qu'elle a soutenu la Grande-Bretagne pour l'impact du climat.
Notre pays a également toujours été un fervent promoteur de la collaboration entre les pays européens. Le ministre belge des Affaires étrangères Pierre Harmel a ainsi proposé pendant le mandat de 1971-1972 que les ministres des Affaires étrangères de l'UE se réunissent deux fois par an pour échanger des points de vue de manière informelle. La Belgique encourage également la discussion régulière entre les pays de l'UE au sein du Conseil de sécurité en vue de déterminer des points de vue communs. Dans les faits, notre pays endosse très régulièrement le rôle d'intermédiaire entre l'UE et l'ONU.
La Belgique est appréciée en tant que médiateur. D'où le slogan de la campagne pour l'adhésion 2019-2020 : promouvoir le consensus, agir pour la paix. © FOD BuZa/SPF AE
Médiateur
Et nous retrouvons ainsi une autre constante : notre pays a toujours été un médiateur ou un intermédiaire fiable. Kenes : « la Belgique comprend l’art de faire des compromis. Conclure un accord multilatéral, et donc trouver une solution qui obtient un large consensus, est tellement important que nous sommes disposés à faire des concessions. Nous ne ressentons pas la nécessité de faire passer l'intégralité de notre propre ordre du jour en priorité. » Paul-Henri Spaak estimait également qu'un petit pays comme la Belgique devait jouer le rôle d'agent de liaison en vue de rassembler les grandes puissances.
Partenaire fiable
La Belgique s'est également forgé une solide réputation au sein de la communauté internationale. « Nous sommes considérés comme un partenaire extrêmement fiable qui vise le consensus », explique Kenes. Pour cette raison, notre pays est souvent chargé des dossiers compliqués et sensibles comme l'accès humanitaire en Syrie. La Belgique rédige aussi régulièrement des compromis sur des thèmes sur lesquels les États-Unis et la Russie ont des idées diamétralement opposées.
Nos propositions sont toujours élaborées de manière solide. Notre pays dispose également de diplomates motivés et avec de l'expérience et envoie toujours ses meilleurs diplomates vers New York lors d'un mandat. Notre pays est aussi très actif au sein de l'Assemblée générale.
L'ancien ministre de la coopération au développement Alexander De Croo
parle au Conseil de sécurité de la situation humanitaire en Syrie (février 2020). © UN Photo/Loey Felipe
Un monde sans ONU est impensable
Au cours de ses 75 années d'existence, le Conseil de sécurité a incontestablement obtenu des résultats fantastiques. Même si les échecs bénéficient souvent d'une large couverture médiatique, alors que les réussites passent inaperçues. En 2008, le Conseil de sécurité a par exemple réussi à désamorcer une situation extrêmement tendue et potentiellement très explosive entre 2 groupes de population au Kenya en envoyant un médiateur.
Malgré tout, de plus en plus de personnes se posent des questions sur le multilatéralisme, même les citoyens belges. Celles-ci estiment que nous devons récupérer la souveraineté à laquelle nous avons renoncé. Kenes : « Pour cette raison, nous devons expliquer clairement à quel point il est important pour nous de renoncer à une partie de notre souveraineté. Le meilleur exemple est la pandémie de covid-19 actuelle. Oui, l'Organisation mondiale de la Santé peut être améliorée, mais nous ne pouvons pas non plus nous en passer. La même règle est valable pour l'ONU et le Conseil de sécurité. »
« Je pense que nous n'avons ni besoin de plus d’institutions et de multilatéralisme, ni de moins ou de statu quo », conclut Kenes. « Nous devons toutefois montrer, par le biais de projets concrets (défis mondiaux tels que le climat, la santé, la migration, le commerce,...), que le multilatéralisme représente une valeur ajoutée inestimable pour tout le monde. Car un monde sans ONU est presque inimaginable. »
L'avenir
Aujourd'hui, la Belgique se prépare déjà à un septième mandat, à savoir en 2037-2038. Douze ans, cela semble encore long, mais c'est la période moyenne entre les mandats précédents. Pour obtenir effectivement un siège, une préparation minutieuse est indispensable.
Mais l'engagement de la Belgique en faveur d'un multilatéralisme efficace ne s'arrête pas là. Par exemple, notre pays fait campagne pour la présidence de la 5ème commission de l'Assemblée générale des Nations Unies. Cette année, notre pays préside le Groupe des fournisseurs nucléaires. La Belgique est également à la tête de la Conférence sur le désarmement en 2021. En 2023, notre pays deviendra membre du Conseil de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM).
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