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Coraux à l'ombre d'une forêt de mangroves, dans le "Triangle de Corail" en Indonésie. © Shutterstock
La biodiversité se porte mal à travers le monde. La richesse en organismes vivants sur terre se réduit à une allure vertigineuse. Les scientifiques parlent d’une 6e vague d’extinction, exclusivement causée par les humains. La vague précédente a entraîné la disparition des dinosaures, entre autres.
En 1992, la situation était déjà dramatique. Pour cette raison, la communauté internationale avait adopté la Convention sur la diversité biologique (CDB) lors de la conférence sur le développement durable à Rio de Janeiro. Depuis, des Conférences des parties ou COP (assemblées réunissant les 196 parties à la convention) ont lieu à intervalles réguliers afin de discuter du suivi.
En 2010, les 20 objectifs d’Aichi ont été formulés : il s’agissait d’un plan visant à restaurer la biodiversité à l’horizon 2020. Hélas, la situation en 2020 n’avait jamais été aussi critique.
Ces circonstances faisaient ressortir l’importance de la COP15 prévue en 2020. En effet, cette assemblée devait fournir un nouveau cadre pour une véritable protection de la biodiversité, si vitale. Sa portée devait être comparable à l’Accord de Paris sur le climat. Mais le coronavirus a perturbé les plans.
Une réunion préparatoire pour la COP15, à l'écran à droite Ines Verleye représentant la Belgique. © Ines Verleye
Le format virtuel est un échec
Ines Verleye (SPF Environnement) dirige la délégation belge qui assure le suivi de la CDB au sein de l’UE et de l’ONU. « Nous avons dû nous contenter de réunions virtuelles », affirme-t-elle. « Mais rien ne vaut une conférence en présentiel. Les conférences des Nations Unies prévoient un tour de parole pour tous les pays. La formule virtuelle ne le permet tout simplement pas, assurément pour les pays les plus pauvres. »
La COP15 a été reportée une première fois à octobre 2021. Mais cette date a également été repoussée. Du 11 au 15 octobre 2021, un volet hybride aura lieu à Kunming (Chine), suivi de la COP15 proprement dite en présentiel du 25 avril au 8 mai 2022.
« Durant le volet hybride, seul le personnel d’ambassade se trouve sur place », déclare Mme Verleye. « Il a surtout un intérêt procédural. La Chine pourra officiellement reprendre la présidence de l’Égypte et le budget pourra être approuvé. La finalisation du cadre pour l’après-2020 suivra seulement en mai 2022. »
Nous devons accorder suffisamment de place à la nature afin qu’elle nous donne ce dont nous avons besoin : l’oxygène, de l’eau pur, etc. © Shutterstock
Biodiversity protects when she’s protected
Et c’est bien dommage. L’élaboration d’un plan mondial ambitieux pour la biodiversité s’impose avec urgence. Mme Verleye reprend une citation de la COP11 en Inde (2012) : « Biodiversity protects when she’s protected. » En d’autres termes, nous devons accorder suffisamment de place à la nature afin qu’elle nous donne ce dont nous avons besoin. Sans la biodiversité et ses services écosystémiques (pollinisation, air pur, sols fertiles, eau…), l’humanité ne peut survivre.
« Le succès des Objectifs de développement durable (ODD) dépend de la biodiversité », souligne Mme Verleye. « Il suffit de penser à l’alimentation, l’eau, la santé, mais aussi aux partenariats. L’enjeu dépasse de loin les ODD 14 (océans) et 15 (biodiversité terrestre). »
Elle prend comme exemple les récentes inondations en Wallonie. « Nous allons même jusqu’à creuser le lit des rivières pour bâtir des villes. Les sols inexploités sont apparemment dépourvus de valeur. Bien au contraire ! Ils ont de la valeur pour l’agriculture, l’eau potable, l’adaptation au changement climatique. La terre filtre l’eau. »
Nous consommons et produisons de manière excessive. Photo : Centre commercial à Istanbul. © Shutterstock
Beyond Chocolate
D’après Ines Verleye, l’utilisation des sols constitue la principale cause du déclin de la biodiversité. « Nous utilisons trop de terres arables, plus qu’il ne devrait, notamment parce que nous gaspillons des quantités pharamineuses de nourriture. Les espaces naturels restants sont par ailleurs trop dispersés. En outre, nous consommons et produisons de manière excessive. Nous creusons notre propre tombe. La croissance purement économique est trop fortement mise en avant. Nous devons justement dissocier nos modes de consommation et de production de leur impact dommageable sur la nature. Par exemple en consommant davantage de produits locaux qui impliquent des distances de transport réduites. Les initiatives belges Beyond Chocolate et Beyond Food sont des exemples d’alternatives (Beyond Chocolate est une initiative largement soutenue visant la production de chocolat belge durable et Beyond Food entend rendre le soja, l’huile de palme et le café plus durables, NDLR). »
Fonds de pension
Fort heureusement, la nécessité d’inverser la tendance s’installe très progressivement dans les esprits, également en dehors de la communauté scientifique et environnementale. « Pendant longtemps, la biodiversité relevait exclusivement des départements compétents en matière d’environnement », précise Mme Verleye. « C’est pour cette raison que seul l’objectif Aichi visant la protection de 17 % des zones naturelles a été atteint. Les services environnementaux pouvaient y parvenir seuls. La diminution des subventions nuisibles, par exemple, requiert l’implication des départements financiers et économiques. »
« Aujourd’hui, force est de constater que le monde financier tire la sonnette d’alarme. En effet, nombre d’investissements (dans les fonds de pension et autres) sont tributaires de la biodiversité. ONU-Habitat prend également conscience du rôle essentiel de la biodiversité dans la viabilité des villes. De nombreuses personnes ont compris l’importance de la nature pour leur santé mentale durant la crise du coronavirus. Les entreprises demandent une législation claire en matière de biodiversité. Cependant, la pensée à court terme demeure dominante. »
Garantir sa propre survie
Une autre prise de conscience qui gagne du terrain concerne le lien indissoluble entre la crise de la biodiversité et la crise climatique, et l’effet amplificateur qu’elles exercent l’une sur l’autre. « Ce n’est pas un hasard si le prochain sommet pour le climat à Glasgow (novembre 2021) est consacré au thème de la nature. Toutes les solutions doivent être favorables tant au climat qu’à la biodiversité. Il ne serait pas logique de résoudre les problèmes liés au climat si nous mourons de faim par la suite. »
D’ailleurs, la biodiversité est plus mal en point que le climat », estime Mme Verleye. « Les points de basculement seront plus vite atteints ! Il ne s’agit plus seulement de respecter la nature, mais d’assurer notre propre survie. Nous devons protéger la nature, pas pour elle, mais pour nous. Dans le cas contraire, nous nous réservons un avenir encore plus propice aux pandémies, crises alimentaires, incendies de forêt, inondations… ».
L’ambitieuse Belgique
La délégation belge pour la biodiversité a déjà bien cerné cette urgence. « Au sein de l’UE, nous nous exprimons d’une voix ferme et prenons souvent l’initiative, ce qui suscite parfois la frustration d’autres États membres », affirme Mme Verleye. « Notre équipe de 25-30 personnes possède une large expertise et nous travaillons en harmonie. Étant donné que nous devons bien nous concerter au préalable avec les communautés et régions, nous nous positionnons souvent avec davantage de force que les autres pays. »
Le gouvernement belge souhaite également véhiculer un message fort. En septembre 2020, Sophie Wilmès, la première ministre de l’époque, a souscrit à l’Engagement des dirigeants pour la nature (Leaders’ Pledge for Nature) au nom de la Belgique. Actuellement, plus de 80 pays y ont adhéré, qui œuvrent en faveur d’un plan ambitieux pour la biodiversité au niveau des chefs d’État et de gouvernement. En marge de l’Assemblée générale de l’ONU (22 septembre 2021), le premier ministre De Croo a rappelé que la biodiversité et le climat font partie des grandes priorités de notre pays.
En outre, la Belgique a récemment rejoint la Coalition de la haute ambition pour la nature et les peuples (High Ambition Coalition for Nature and People). Cette initiative au niveau des ministres de l’environnement regroupe plus de 60 pays qui soutiennent pleinement l’objectif 30x30 : protéger 30 % de la surface terrestre et 30 % des océans d’ici 2030. Cet objectif figure d’ailleurs dans la version projet du cadre de la biodiversité pour l’après-2020 actuellement en discussion.
Cadre de la biodiversité pour l’après-2020
« La proposition pour l’après-2020 poursuit des objectifs d’un assez bon niveau, mais peut assurément se montrer plus ambitieuse », estime Mme Verleye. « Nous devons mettre encore davantage l’accent sur une consommation et une production respectueuses des limites de la planète. Protéger 30 % de la planète est une bonne chose, mais l’humanité doit également se montrer respectueuse des 70 % restants. La biodiversité citadine constitue une autre priorité belge. »
L’aspect communicationnel revêt également beaucoup d’importance. « Les objectifs Aichi ont été formulés de manière assez obscure. Il convient de les reformuler en s’inspirant des ODD : un nombre limité d’objectifs clairs, assortis d’une série de sous-objectifs. Tous ceux qui souhaitent y contribuer, des bourgmestres aux entreprises, doivent pouvoir directement utiliser ce qu’ils ont entre les mains. Un lien clair avec les ODD est crucial afin de pouvoir impliquer le monde entier. »
Nous avons du pain sur la planche si nous voulons élaborer un cadre pour l’après-2020 qui bénéficie de l’appui des 196 parties. « Le retard accumulé en raison du coronavirus nous a empêchés de connaître la position de tous les pays. Certains feront certainement valoir des positions tranchées, comme le Brésil, qui mène actuellement une politique de confrontation dans le domaine de l’environnement. »
Mobilisation des ressources
La mobilisation des ressources est un autre point délicat. Annemie Van der Avort, représentante du SPF Affaires étrangères au sein de la délégation belge pour la biodiversité, assure le suivi du dossier. « La mobilisation des ressources dépasse le cadre des pays riches qui doivent verser des sommes d’argent supplémentaires aux pays pauvres. Il s’agit également d’utiliser efficacement les ressources existantes et de pratiquer le « mainstreaming », explique Mme Van der Avort. « Le mainstreaming implique que d’autres secteurs tels que l’agriculture, l’industrie, l’infrastructure et le transport prennent en compte la biodiversité. Il est également essentiel que les subventions nuisibles soient supprimées et que les pays puissent exploiter leurs propres sources (domestic resource mobilisation). Le transfert de technologie et la coopération scientifique s’avèrent également nécessaires. »
« Les fonds publics ne peuvent couvrir que 10 % des coûts », indique Mme Verleye. « Mais le secteur privé ne peut contribuer qu’à condition qu’un cadre législatif clair ait été établi. »
Cela étant, de nombreuses réunions virtuelles sont au programme avant que la COP15 ne puisse enfin (espérons-le) se dérouler en présentiel l’année prochaine. La Belgique continuera à œuvrer avec acharnement en faveur d’une politique pour la biodiversité ambitieuse, d’une importance vitale. Notre SPF peut également apporter sa pierre à l’édifice, entre autres par l’intermédiaire des diverses ambassades concernées.
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