La danse contre l’excision au Mali

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Jeune femme en train de danser dans un village au Mali

Les jeunes femmes formées dansent dans un abandon total. Image de la performance finale en présence du personnel de l'ambassade de Belgique. © SPF Affaires étrangères

Comment changer des traditions profondément ancrées telles que l’excision des jeunes filles ? La compagnie de danse et de théâtre malienne Jiriladon a choisi la danse. Notre ambassade à Bamako a soutenu l’une de ses initiatives couronnée de succès.

La danse comme vecteur de sensibilisation au Mali, un projet réaliste ? N’est-ce pas un pays du Sahel extrêmement instable ? Il est vrai que, depuis dix ans, le Mali est en proie à de nombreux conflits, mais ce constat ne signifie pas pour autant que la situation soit désespérée. Le Mali fait deux fois la taille de la France et les violences se concentrent principalement dans le nord et le sud du pays. La guerre épargne le quotidien de la capitale, Bamako, et le sud reste lui aussi relativement accessible. Notre ambassade à Bamako peut d’ailleurs fonctionner plutôt normalement.

Le Mali est un pays musulman : la population malienne est composée à 95 % de citoyens de confession islamique. Les Maliens prônent toutefois une forme très tolérante de l’islam, marquée par une forte influence soufie. En outre, ce pays à l'histoire ancestrale constitue un véritable vivier musical et la danse, même parmi les femmes, jouit également d’une grande popularité.

Déraciner une tradition profondément ancrée exige du temps

89 % des femmes et jeunes filles maliennes sont excisées. Ce phénomène s’inscrit dans une tradition profondément ancrée qui ne se limite pas aux seuls musulmans et que ces derniers ne partagent pas tous. L’excision, forme brutale de mutilation génitale profonde, entraîne souvent des séquelles physiques et psychologiques à vie. Le but est de réprimer complètement la sexualité féminine.

Inutile de préciser que cette pratique constitue une entrave sérieuse à l’épanouissement des femmes. De plus, elles subissent également des violences sexuelles, l’exclusion, la déscolarisation, les mariages forcés, les grossesses précoces… La liste est longue.

L’interdiction légale de l’excision au Mali ne suffit pas à empêcher cette pratique traditionnelle, très étroitement liée à la foi de la plupart des Maliens. D’ailleurs, ce sont les femmes elles-mêmes qui pratiquent les excisions et contribuent ainsi à perpétuer la coutume. Par conséquent, l’éradication de l’excision ne pourra se concrétiser en un claquement de doigt. La réalisation de cet objectif passera par une sensibilisation par étapes, mais surtout, la demande devra venir des Maliens eux-mêmes. La population n’acceptera jamais une approche moralisatrice de l’Occident.

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Spectacle de danse

Spectacle de danse de Jiriladon à l'ambassade de Belgique à Bamako lors de la Journée internationale de la femme 2022. © SPF Affaires étrangères

Jiriladon s’engage contre l’excision

Face à cette injustice qui perdure, l’association malienne Jiriladon a déjà trouvé une formule efficace. Cette compagnie de danse et de théâtre intègre a créé un centre culturel pour les jeunes dans un quartier populaire de Bamako. Ses membres ont taillé dans la roche un amphithéâtre certes quelque peu sommaire mais tout à fait fonctionnel. Ils y ont placé une scène et recouvert la « salle de théâtre » d’une bâche. Les enfants et adolescents peuvent s’y rendre après l’école pour s’adonner à l’activité de leur choix : rap, hip-hop, danse, slam, etc. L’association Jiriladon s’inscrit ainsi dans la riche tradition musicale du Mali.

La compagnie a recours à la danse pour attirer l’attention sur la situation des femmes au Mali. Elle a ainsi déjà collaboré avec plusieurs ambassades à Bamako et en mars dernier, à l’occasion de la Journée internationale des femmes, elle a présenté un spectacle de danse à l’ambassade belge. En 2022, le projet central de Jiriladon s’axait spécifiquement autour des droits des femmes et des filles. La Belgique a contribué à hauteur de 10 000 euros à cette initiative qui a également bénéficié du soutien de l’ambassade luxembourgeoise.

20 jeunes femmes messagères du changement

Jiriladon a formé 20 jeunes femmes à l’organisation d’ateliers, à Bamako et même au-delà, consacrés aux droits des femmes et portant une attention particulière aux mutilations génitales. Pour faciliter la discussion autour de ce sujet délicat, quelques exciseuses traditionnelles ont également participé aux sessions d’information. Ces dernières ont toutes promis de ne plus pratiquer d’excision.

La partie informative de la formation était systématiquement suivie d’un spectacle de danse et d’une pièce de théâtre élaborés par les participantes elles-mêmes. C’est ainsi, dans une ambiance décontractée, qu’elles ont pu faire passer leur message, à savoir que l’excision n’est plus une pratique de notre époque. Par la suite, elles pouvaient véhiculer le même message au sein de leur famille et de leur communauté. Jiriladon a par ailleurs organisé des moments de discussion publics avec les chefs traditionnels des villages pour les sensibiliser aux répercussions désastreuses de l’excision.

Le festival de trois jours organisé à Bamako constituait le point d’orgue du projet soutenu par l’ambassade belge. L’ensemble du personnel de l’ambassade a assisté au spectacle donné le premier jour. La qualité de cette performance en a impressionné plus d’un : le spectacle était non seulement intense, émouvant, porteur d’espoir et encourageant, mais surtout d’une grande beauté !

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Jeunes femmes en train de danser dans un village au Mali

Une autre image de la performance finale à Bamako. © SPF Affaires étrangères

Un soutien belge qui porte ses fruits

Le projet a également eu une portée considérable. La compagnie Jiriladon s’est en effet rendue en caravane dans plusieurs villages reculés où il ne se passe généralement pas grand-chose. Pas étonnant dès lors que lorsqu’un groupe de danse débarque, quasiment tous les habitants répondent présents. Au final, on peut estimer que l’initiative a directement touché quelque 10 000 personnes. La presse traditionnelle (journaux, radio, TV) et les réseaux sociaux ont même permis de toucher 50 % de la population de Bamako et 35 % des habitants en zones rurales.

Notre ambassade tire donc un bilan plus que satisfaisant de cette initiative. Le soutien financier de nos collègues, bien que relativement limité, a apporté une précieuse contribution à la déconstruction progressive de préjugés profondément ancrés et de traditions séculaires préjudiciables. En prime, le parrainage belge occupait partout une place de choix.