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Hall d’entrée du bâtiment de la Banque mondiale à Washington avec l’inscription : « Notre rêve est un monde sans pauvreté ». © Shutterstock
INTERVIEW - Comment le Groupe de la Banque mondiale s'adapte-t-il à l'évolution du contexte géopolitique ? Notre compatriote Nathalie Francken - administratrice au groupe de la Banque mondiale et antérieurement collaboratrice au sein de notre SPF - nous a donné tous les détails (partie 1).
Notre compatriote Nathalie Francken - ancienne collaboratrice du SPF Affaires étrangères - exerce ses fonctions à la Banque mondiale depuis 2018. Elle y est aujourd'hui administratrice du groupe électif EDS10 et, à ce titre, membre du Conseil des administrateurs (Board of Directors) (voir encadré biographique).
Dès lors, elle incarne la personne idéale pour nous éclairer davantage sur les tenants et les aboutissants de la Banque mondiale et, par extension, de toutes les banques multilatérales de développement ou BMD. Ces institutions jouent en effet un rôle qui ne peut être sous-estimé dans la mise en œuvre des Objectifs de développement durable et contribuent à une économie mondiale plus stable. Ainsi, elles participent indéniablement à la stabilité et la prospérité de notre pays.
Qui est Nathalie Francken ?
Nathalie Francken détient un doctorat en économie et un master en ingénierie agronome. Elle a notamment occupé un poste au sein de la Banque africaine de développement en Tunisie et en Tanzanie. C'est également en Tanzanie qu'elle a travaillé pour Irish Aid, l'organisation irlandaise de développement. Par le passé, elle a en outre exercé les fonctions de directrice de recherche à la KULeuven et à l’UAntwerpen, ainsi que dans le secteur privé. Elle a par ailleurs été consultante dans différents départements de la Banque mondiale - aussi bien au siège de Washington qu'au bureau national de Madagascar - ainsi que pour la FAO et l'UNICEF.
Au sein de notre SPF, elle a contribué à façonner la stratégie pour l'agriculture et la sécurité alimentaire (2017). Elle a ensuite présidé le conseil d'administration de l'agence belge de développement (Enabel). Elle a occupé ce poste jusqu'en 2018, date à laquelle elle a rejoint la Banque mondiale à Washington en qualité d’administratrice suppléante du groupe électif EDS10. Celui-ci comprend 9 pays : outre le nôtre, s'y trouvent également le Luxembourg, la Hongrie, le Kosovo, l'Autriche, la Slovaquie, la Slovénie, la République tchèque et la Turquie.
Elle occupe le poste d’administratrice de l'EDS10 depuis 2024, une première ! Elle est la première femme belge à occuper un tel poste au sein d'une banque multilatérale de développement. De plus, elle est seulement la seconde femme à occuper la direction de sa circonscription.

© Nathalie Francken
Début janvier, Nathalie Francken a réalisé un bref séjour dans notre pays. Elle a notamment participé à une conférence au palais d'Egmont, organisée par notre SPF - la direction générale Coopération au développement - en collaboration avec le SPF Finances et les agences commerciales régionales. Le thème de cette conférence portait sur la manière dont les entreprises belges pouvaient optimiser les opportunités d'affaires offertes par les banques multilatérales de développement. Cette tâche relève également des missions des Belges qui travaillent au sein des BMD et de notre SPF : aider les entreprises belges et les autres acteurs concernés à contribuer aux projets commandés par les BMD. À l’issue de la conférence, Nathalie Francken a accepté de s'entretenir avec nous.
Les BMD refléteraient encore trop les relations du monde de l'après-Seconde Guerre mondiale. De quoi s'agit-il exactement ?
À la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), par exemple - qui fait partie du groupe de la Banque mondiale -, une formule dynamique sert de guide lors de l'examen de l’actionnariat : 80 % sont déterminés par le poids économique d'un État membre et 20 % par ses contributions financières à l'Association internationale de développement (IDA). Les membres fondateurs et les États membres qui contribuent le plus à l'institution - comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Europe - ont ainsi acquis davantage de droits de vote.
Au fil des ans, des droits de vote ont déjà été cédés et l’actionnariat a été en partie adapté aux réalités économiques et géopolitiques. Mais il est vrai que certains pays à revenu intermédiaire comme la Chine sont sous-représentés. Cependant, le rééquilibrage reste un sujet sensible sur le plan géopolitique. Par exemple, la rivalité entre les États-Unis et la Chine entre en jeu, mais le Japon perdrait aussi sa place de deuxième actionnaire. A contrario, certains pays européens sont légèrement surreprésentés.
Une discussion sur l’actionnariat est actuellement en cours au sein de la BIRD. La Belgique se montre résolument en faveur d'une plus forte voix et d'une meilleure représentation des pays à faible revenu. Mais la prudence reste de mise. Car la transparence et le respect des valeurs et des normes font également partie du débat plus large qui entoure la question de l’actionnariat. Avec l'investiture de Trump à la présidence des États-Unis - et l'incertitude qui en découle - cette discussion risque d'être difficile.
Pourtant, le Pacte pour l’avenir conclu par les Nations Unies en septembre 2024 entend tout de même réformer les institutions financières internationales ?
L’appel à une réforme de « l’architecture financière internationale » résonne en effet de plus en plus fort, en particulier du côté de l’ONU. Il s’agit pour le Sud global d’avoir voix au chapitre dans les questions relatives à la fiscalité internationale ou aux rééchelonnements des dettes, y compris au sein des institutions de Bretton Woods. Comme évoqué, nous menons une réflexion constructive sur des propositions visant à renforcer l’influence des pays à faible revenu. De plus, nous insistons sur l’importance de la diversité et de l’équilibre des genres dans les institutions et leurs organes décisionnels.
Par ailleurs, nous enregistrons une forte demande de moyens financiers supplémentaires pour atteindre les Objectifs de développement durable et la transition climatique. Il y a deux ans a débuté, sous le nom de WBG Evolution, un projet de réforme radicale de la banque, qui peut également répondre à l’appel lancé depuis New York. En effet, ce projet a pour principal objectif d’aligner le mandat, le modèle de fonctionnement et le financement disponible sur les défis contemporains qui, de plus en plus souvent, se déploient à l’échelle mondiale.
Outre les programmes de développement de chaque pays, la banque investira également dans les défis transnationaux qui requièrent des solutions communes, tels que le dérèglement climatique, les pandémies ou la perte de biodiversité. Pour ce faire, des mesures sont prises pour augmenter drastiquement la capacité financière de la banque. La Belgique a d’ailleurs joué un rôle essentiel dans ce sens, au travers d’un mécanisme de garantie mis en place récemment.
En outre, nous soutenons fortement les réformes visant à améliorer l’efficience et l’efficacité de la banque. Nous souhaitons travailler sur l’impact et les résultats, davantage que sur le volume des moyens. Cette optimisation revêt un intérêt certain pour nous, donateurs, mais elle bénéficie également à nos partenaires.
Le Pacte pour l’avenir évoque aussi une réforme de « l’architecture de la dette ». Que faut-il comprendre ?
L’architecture de la dette mondiale n’a cessé de se complexifier ces dernières années. Auparavant, les créanciers publics traditionnels – à l’instar des membres du Club de Paris – jouaient un rôle plus important. Aujourd’hui, la Chine a elle aussi rejoint les rangs des créanciers bilatéraux majeurs, de même que plusieurs institutions privées. Cette évolution rend plus complexes les éventuelles restructurations de dettes. C’est pour cette raison qu’a été créé le « Cadre commun » du G20.
La Banque mondiale met tout en œuvre pour éviter de futures crises liées à la dette. Ainsi, les pays à faible revenu reçoivent un soutien financier sur le long terme à des conditions avantageuses afin d’atteindre leurs objectifs de développement. Dans la même optique, les pays en situation de surendettement ont droit à des dons. En parallèle, la Banque mondiale fournit une assistance technique pour améliorer la gestion de la dette, la transparence et la mobilisation des moyens nationaux.
Les BRICS, qui entendent contrebalancer la domination de l’Occident, ont fondé leur propre banque de développement, la New Development Bank. Quel rôle joue-t-elle parmi l’ensemble des BMD ?
À sa création, le groupe des BRICS comptait cinq pays : le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Depuis lors, de nouveaux membres les ont rejoints : l’Égypte, l’Indonésie, l’Iran, les Émirats arabes unis, le Nigéria et l’Éthiopie.
Avec leur Nouvelle Banque de développement, les BRICS entendent travailler autrement. Ils misent davantage sur le développement de marchés financiers locaux et l’utilisation de devises locales, et soutiennent la stabilité financière. Répondant à l’accord de Paris sur le climat, la banque se concentre sur la durabilité et l’énergie renouvelable, entre autres au travers de panneaux solaires fabriqués en Chine. La contribution est la même pour chaque État membre, qui pèse donc lors tout autant dans la balance et aucun ne dispose d’un droit de veto. Toutefois, la Chine aimerait modifier ce système.
Contrairement à la Banque mondiale, la Nouvelle Banque de développement n’entend pas véritablement formuler des avis ni devenir un centre de connaissance, du moins pour l’instant. Cependant, la situation évolue. Les BRICS ont en effet constaté que le fait de remettre des avis comme la Banque mondiale permettait de gagner en visibilité et d’augmenter son impact à l’échelle du globe.
Par ailleurs, la Nouvelle Banque de développement fait preuve de davantage de souplesse sur le plan des valeurs et des normes, telles que le droit du travail. Elle ne suit pas non plus les sanctions imposées à la Russie. Récemment, une évaluation indépendante du travail mené en Afrique s’est soldée par un bilan assez négatif quant à la durabilité de l’impact des interventions.
En tout état de cause, la Banque mondiale souhaite collaborer davantage avec l’ensemble des BMD, y compris la Nouvelle Banque de développement, tout en maintenant ses standards en matière d’environnement, de protection sociale et de gouvernance.
Lire également la 2me partie de l’interview : Le groupe de la Banque mondiale : immense acteur du développement
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