Pourquoi le Saint-Siège revêt-il une telle importance pour notre pays ?

  1. Dernière mise à jour le
Image
Place Saint-Pierre au crépuscule

Vue de la place Saint-Pierre dans la Cité du Vatican. © Getty Images

Saviez-vous que la Belgique dispose depuis 1832 d'une ambassade dans ce qu'on appelait alors les « États pontificaux »? Aujourd’hui encore, notre ambassade auprès du Saint-Siège joue un rôle étonnamment important dans notre réseau diplomatique. Découvrez pourquoi.

Le Pape François n’est pas seulement à la tête de l’Église catholique romaine ; il est également chef d’État. Le territoire de son pays, la Cité du Vatican, s’étend sur 44 hectares.

Les États peuvent dès lors nouer des relations diplomatiques avec la Cité du Vatican, voire y établir une ambassade. À ce jour, quelque 115 pays y sont représentés par une ambassade et 190 pays entretiennent des relations diplomatiques avec le mini-État.

Parmi ceux-ci figurent non seulement des pays catholiques, mais aussi des pays tels que la Russie et l’Inde, ou des pays musulmans tels que l’Iran et Oman, conformément à la politique d’ouverture préconisée par le pape, entre autres envers le monde musulman. Une dizaine de pays seulement n’ont pas encore tissé de relations diplomatiques avec le Saint-Siège, parmi lesquels la Corée du Nord et la Chine.

Depuis 1832

Notre pays possède lui aussi une ambassade auprès du « Saint-Siège », qui représente en quelque sorte l’organe central de gouvernement de l’Église. Le territoire connu jadis sous le nom d’États pontificaux était même l’un des premiers pays avec lesquels la Belgique a noué des relations, et ce dès 1832, un an après sa naissance. Progressivement, l’Italie a grignoté le territoire des États pontificaux. La situation actuelle – à savoir 44 hectares – a été tranchée en 1929 par un traité conclu entre Pie XI et Mussolini.

Peu après, en 1932, l’ambassade de notre pays a pris ses quartiers dans un superbe nouvel édifice situé à 3 km environ de la Cité du Vatican. Aujourd’hui, l’ambassade occupe toujours ce même bâtiment entouré d’un agréable jardin. Notre ambassade à Rome, qui entretient des relations avec l’Italie, s’y installe souvent pour accueillir toutes sortes d’événements

Image
Bâtiment de l'ambassade Saint-Siège Cité du Vatican

Le bâtiment de l’ambassade de Belgique au Saint-Siège à Rome. © SPF Affaires étrangères

Monsieur et madame Tout-le-monde

Puisque l’on en parle, quel est le rôle de notre ambassade auprès du Saint-Siège ? Nous avons posé la question à Patrick Renault, ambassadeur en poste au Vatican pendant 4 ans et qui est à présent de retour à l’administration centrale à Bruxelles.

« Avant toute chose, c’est une question d’information », explique Patrick Renault. « Au travers de ses prêtres, religieux et religieuses, l’Église dispose d’un réseau extrêmement subtil qui s’étend quasiment aux quatre coins du monde. En temps normal, les diplomates restent en contact avec des hauts fonctionnaires, des responsables politiques, des responsables syndicaux, des artistes, des personnalités du milieu académique, etc. Toutes ces personnes appartiennent au même groupe socioculturel (polyglottes, niveau d’études universitaire, etc.), qui représente seulement 4 à 5 % de la population. En revanche, les religieux et religieuses permettent à l’Église de garder un véritable contact avec la réalité, au niveau du peuple, de monsieur et madame Tout-le-monde. »

« Souvent, ces religieux et religieuses sont les seules personnes qui restent, par exemple en cas de situation de crise dans un pays africain. Elles y administrent des écoles, des dispensaires, etc. Tenez, j’ai été ambassadeur au Pakistan. Eh bien, la plupart des connaissances y étaient détenues par les prêtres de l’Église locale. Si quelque chose se tramait, ils le savaient des mois à l’avance. Naturellement, ils observent parfois la situation à travers leur propre prisme, mais il appartient alors aux diplomates de faire le tri pour éliminer les biais.

Caritas

Par ailleurs, il serait réducteur d’assimiler l’Église catholique au Vatican uniquement, et donc au seul siège de l’autorité spirituelle et temporelle de l’Église catholique romaine. « On y trouve aussi le quartier général de tous les grands ordres religieux, comme les franciscains, les dominicains et les jésuites. Chacun de ces ordres possède son propre réseau, dont certains sont très spécialisés, entre autres en Afrique. »

Les ONG catholiques sont également très influentes. « En effet, c’est ici que se situe le siège de Caritas, la deuxième plus grande ONG au monde, qui mobilise des milliers de bénévoles. Elle est notamment active en Ukraine, où il est devenu très difficile d’accomplir encore la moindre chose, mais Caritas parvient tout de même à évacuer des civils ou à négocier des échanges de prisonniers. L’organisation se démène également pour les milliers d’enfants enlevés par la Russie. Sant’Egidio est une autre institution caritative dans la même lignée.

Image
Jardin Ambassade belge Saint-Siège Rome

Le magnifique jardin du bâtiment de l’ambassade de Belgique au Saint-Siège à Rome. © SPF Affaires étrangères

Chef de file politique

Patrick Renault estime important de souligner que le pape compte parmi les personnalités les plus célèbres au monde. « Même moi, malgré ma profession, je ne pourrais pas dire qui est le premier ministre d’Indonésie », remarque-t-il. « En revanche, le monde entier, pour ainsi dire, a entendu parler du pape. »

En outre, le pape est bien plus qu’une figure religieuse, il défend également des opinions politiques. « Évidemment, nous ne sommes pas toujours d’accord, par exemple en ce qui concerne l’avortement ou l’euthanasie. Cependant, nous partageons une vision commune sur 95 % des sujets ! Le pape formule des propositions fermes sur la peine de mort, les droits humains ou le climat. C’est même un véritable chef de file, dont la voix reçoit plus d’écho que la nôtre. C’est un fait. »

Patrick Renault rappelle que l’ambassade ne défend absolument aucun projet religieux. « Nous ne collaborons ni avec l’Église catholique ni avec les évêques de Belgique, notre travail est purement politique. »

Prévention des guerres

Interrogé sur les exemples concrets de dossiers, Patrick Renault évoque les nombreuses tentatives de médiation menées par l’Église. « En qualité d’observateur extérieur, indépendant des deux parties en conflit, l’Église peut jouer un rôle essentiel de médiateur », explique-t-il. « Au sein de l’Église, la communauté de Sant’Egidio est la plus rompue à l’exercice. En ce moment, l’Église œuvre ainsi – en toute discrétion – au Moyen-Orient. Elle a joué un rôle important dans la conclusion d’un accord de paix au Mozambique et est également intervenue en République centrafricaine. Notre SPF Affaires étrangères y a même financé une médiation par l’Église. »

Le plus bel exemple de médiation fructueuse remonte aux années 1970, lorsque l’Église a empêché une guerre entre le Chili et l’Argentine. « Le conflit portait sur la démarcation des frontières. Le Chili cherchait un accès à l’Océan atlantique et l’Argentine à l’Océan pacifique. Quelques jours avant l’éclatement d’une guerre, les deux pays ont sollicité auprès de l’Église une médiation qui a été couronnée de succès ! L’accord de paix signé à l’époque existe encore aujourd’hui. »

1 500 Mexicains et 3 500 Philippins

« Au cours de mes quatre années au poste d’ambassadeur auprès du Saint-Siège, deux éléments m’ont particulièrement étonné », se rappelle Patrick Renault. « Tout d’abord, j’ai été impressionné par la quantité de thèmes traités. Dans la même journée, les travaux peuvent porter sur la guerre en Ukraine, par exemple, pour ensuite se pencher sur les abus sexuels au Chili, avant de se concentrer sur les enjeux climatiques en Afrique australe et, pour finir, étudier la question de l’intelligence artificielle. »

L’ambassadeur se dit également marqué par les profonds changements culturels que traverse l’Église. « Pendant les seize derniers siècles, l’Église était une institution essentiellement européenne, aussi bien sur les plans culturel que politique et humain. Mais son identité évolue extrêmement vite ! Aujourd’hui, la curie et les congrégations à Rome comptent peut-être 30 à 40 Belges ainsi que 140 Allemands et 100 Français, mais on dénombre aussi pas moins de 1 500 Mexicains et 3 500 Philippins ! »

Le visage de l’Église évolue donc rapidement. L’Église devient une institution dynamique, bien qu’elle reste dotée d’une vision traditionnelle, conservatrice. « Selon les estimations, peut-être légèrement exagérées, le monde compte 1,2 à 1,3 milliard de catholiques et 1 million de religieux et de religieuses. Certes, une majorité d’entre eux n’acceptera certainement pas l’homosexualité ni l’ordination des femmes prêtres. Toutefois, les glissements géopolitiques mondiaux, à l’instar de l’Occident qui perd sa position dominante, se reflètent également au sein de l’Église. Dans le monde comme dans l’Église, nous devons encore écrire les règles adaptées au 21e siècle. »