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Rencontre entre le Premier ministre De Croo et le ministre Lahbib (à l’extrême droite) et le président Jinping (deuxième à partir de la gauche) (© SPF Affaires étrangères/Eric Herchaft).
Au cours de leur fructueuse visite en Chine, le premier ministre Alexander De Croo et la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib ont rencontré, entre autres, le président Xi Jinping. Les échanges ont permis de relancer le dialogue économique et politique et de franchir les premières étapes d'une relation commerciale plus équilibrée. Car si la Chine constitue un pays concurrent et rival dans certains domaines, elle n’en demeure pas moins un partenaire incontournable.
En novembre 2019, la princesse Astrid avait conduit la plus grande mission économique belge jamais organisée en Chine (Beijing et Shanghai). La délégation ne comptait pas moins de cinq ministres et 632 participants représentant 312 entreprises ou organisations. Quelques années auparavant - en juin 2015 - notre couple royal s’était également rendu dans l’empire du Milieu, suivi par le premier ministre alors en exercice, Charles Michel, en octobre 2016. En sa qualité de superpuissance émergente, la Chine offrait de nombreuses opportunités économiques prometteuses.
Crise du coronavirus
Toutefois, ces perspectives se sont rapidement assombries. Peu après la mission économique, la crise du coronavirus a éclaté, empêchant toute visite. Pire encore, le contexte géopolitique s'est dégradé en raison de la rivalité croissante entre la Chine et les États-Unis, mais aussi de la guerre menée par la Russie en Ukraine. Dans sa quête d'un monde multipolaire, la superpuissance asiatique aspire également à un rapprochement plus marqué vis-à-vis des autres économies émergentes (BRICS) et du « Sud global ».
L'Union européenne (UE) et la Belgique ont également pris conscience, à la suite de la crise du coronavirus, de leur dépendance excessive à l'égard de la Chine pour de nombreux produits de première nécessité. Depuis lors, le concept d'« autonomie stratégique » a le vent en poupe : l'UE entend accroître son autosuffisance en matière de production de médicaments, d'équipements médicaux, de semi-conducteurs, etc.
Des voix plus critiques se sont également élevées au sein de notre pays au sujet de la situation des droits humains en Chine, entre autres. La Chambre a ainsi adopté une résolution dénonçant le traitement inhumain des Ouïghours. La Belgique a également écarté la Chine d'un appel d'offres pour un réseau 5G. Très récemment, il est apparu qu'un député du Vlaams Belang a fourni des services à un espion chinois moyennant rémunération.
Atténuer le risque, mais sans découplage
L'époque où l'on adoptait une attitude naïve à l'égard de la Chine est révolue. Mais faire preuve d'une plus grande prudence ne signifie absolument pas que notre pays entend couper complètement les ponts. L'« autonomie stratégique » n'est pas synonyme de protection totale de notre économie. Elle indique surtout que l'UE souhaite diversifier l'origine de ses matières premières et protéger des secteurs sensibles comme celui des batteries.
Comme l'a précisé le premier ministre De Croo lors de sa mission en Chine : « Nous ne prônons certainement pas l'isolationnisme. La dernière mesure à prendre dans les moments difficiles est de tourner le dos à la Chine. Nous devrions au contraire rester ouverts aux affaires et aux discussions politiques ». Notre pays et l'UE ne veulent pas se découpler de la Chine (decoupling ou moins de coopération), mais souhaitent réduire leur dépendance (atténuer les risques ou derisking).

À Shanghai, le ministre Lahbib a notamment visité une succursale de la société belge Bekaert (© SPF Affaires étrangères/Eric Herchaft).
Partenaire, concurrent et rival
La Chine demeure en effet un partenaire indispensable et, au titre de superpuissance, elle joue également un rôle important au regard de la paix dans le monde. En substance, la Belgique adopte la même vision à l'égard de l’empire du Milieu que celle de l'UE en 2021, à savoir que la Chine est à la fois un partenaire, un concurrent et un rival.
En effet, la Chine constitue un partenaire incontournable dans les domaines de l'environnement et du climat (mise en œuvre de l'accord de Paris sur le climat), de la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD), de la sécurité alimentaire, de la lutte contre la pauvreté, de la transition vers l'énergie verte, etc.
« Nous avons par ailleurs besoin de la Chine, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, pour tenter de résoudre les conflits qui secouent la planète », enchaîne Hadja Lahbib. « Pour dénoncer, par exemple, l’aide militaire apportée par la Russie à la Corée du Nord. Sur la situation au Proche-Orient, nous sommes globalement sur la même longueur d’onde, à propos de la nécessité de ramener les deux parties à la table de négociations et de lancer un processus de paix, qui passerait par une solution à deux Etats. »
Sur le plan économique, la Chine apparaît davantage comme un concurrent. La structure économique et le centralisme de la Chine - avec les subventions de l'État - entraînent un déséquilibre à l'échelle mondiale. Il suffit de penser à la surcapacité dans les secteurs de l'acier, de l'aluminium et des semi-conducteurs.
Par ailleurs, il existe également un énorme excédent commercial vis-à-vis de la Belgique. En 2022, notre pays a exporté pour 7,8 milliards d'euros de marchandises. Les importations représentaient près de cinq fois ce montant : 35,35 milliards d'euros. La balance commerciale est donc négative à hauteur de plus de 27 milliards d'euros.
Enfin, la rivalité se reflète au niveau multilatéral. En effet, la Chine tend à promouvoir sa propre vision du système de gouvernance mondiale. Cette attitude présente des risques pour le système multilatéral reposant sur des règles et des valeurs universelles, auquel la Belgique et l'UE adhèrent. Par exemple, le géant asiatique possède sa conception des droits humains et du droit maritime international (en mer de Chine méridionale).
Demande d'investissements supplémentaires
Dans tous les cas, la Belgique ne peut ignorer la Chine. Le maintien de contacts directs reste crucial ; c'est la raison pour laquelle le premier ministre De Croo, accompagné de la ministre Lahbib, a décidé de se rendre en Chine pour renouer le dialogue au plus haut niveau, après de nombreuses années d’absence. La présidence du Conseil de l'UE qu'exerce désormais notre pays pourrait peser davantage dans la balance au niveau des échanges.
Mais ce géant de 1,4 milliard d'habitants s'intéresse-t-il à un petit pays de 11 millions d'habitants ? La capitale Beijing compte à elle seule deux fois plus d'habitants. Pourtant, la Chine a tout intérêt à établir des relations plus étroites avec notre pays. Sa rivalité avec les États-Unis l'a amenée à chercher d'autres partenaires. Les États membres de l'UE suscitent certainement des convoitises à cet égard. « La Chine est pragmatique et rationnelle », a déclaré la ministre Lahbib. « Face au ralentissement de la croissance chinoise et à l’ampleur du chômage des jeunes, les autorités sont en demande d’une relance des investissements européens ».

La Chine a organisé une visite exclusive de nos ministres à la Cité interdite, l’une des principales attractions de Beijing (© SPF Affaires étrangères/Eric Herchaft).
Bruges : construire des ponts
La Chine a aussi littéralement déroulé le tapis rouge à la délégation belge. Après son arrivée à Beijing, le convoi de voitures et de minibus - transportant des journalistes et des chefs d'entreprise - a traversé des rues presque vides - bordées de drapeaux belges - pour se rendre à la Cité interdite. Ce monument chinois emblématique était lui aussi pratiquement désert, ce qui a permis aux Belges d'en admirer l'architecture.
Le président Xi Jinping a également pris le temps de s'entretenir avec le premier ministre De Croo, tout comme les autres interlocuteurs de haut rang : le premier ministre chinois Li Qiang et le président du Parlement chinois Zhao Leji. Le président s’est remémoré sa visite à Bruges, il y avait vu le mot « pont » (brug). « Nous devons construire plus de ponts que de murs », a-t-il déclaré.
Diplomatie du panda
Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a même pris la peine de se rendre à l'ambassade de Belgique, où un tout nouveau bâtiment climatiquement neutre a été inauguré. Les schtroumpfs et les pandas de Pairi Daiza y ont également été présentés, en plus de la bière, des gaufres et des frites, bien sûr. La musique traditionnelle chinoise n'était pas en reste.
« Dans la culture chinoise, un nouveau bâtiment ouvre de nouvelles perspectives, il marque un nouveau départ, le début d'un nouveau voyage », a déclaré le ministre Wang Yi lors de l'inauguration. « C'est exactement ce que nous attendons des relations Chine-Belgique et Chine-UE. J'espère que les diplomates belges (...) continueront à construire des ponts (...) et à raconter à la Chine l'histoire de la Belgique dans toute sa diversité ainsi qu'à la Belgique et à l'Europe la véritable histoire de la Chine ».

Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, s’adresse au public lors de l’inauguration du tout nouveau bâtiment de l’ambassade de Belgique (© SPF Affaires étrangères/Eric Herchaft).
Ouverture, franchise et respect
Lors de tous les entretiens, les ministres belges ont réussi à parler de manière ouverte et franche. « À condition de s'exprimer avec respect, il est possible de dire tout ce que l'on pense ici », a expliqué le premier ministre De Croo à l'issue de sa visite. « Chaque interlocuteur doit se sentir respecté. Nous, les Belges, n'éprouvons pas de difficultés à cet égard. Nous ne possédons pas un ego surdimensionné ».
Selon le premier ministre De Croo, une conversation commence généralement par la phrase suivante : « Dans une relation entre deux pays qui se respectent, vous devez avoir la possibilité de parler librement. Et j'apprécie le fait de pouvoir m'exprimer librement ici ». Ensuite, je clarifie les points sur lesquels nous avons des points de vue différents. Généralement, vous dites aussi de temps en temps : « We agree to disagree ». Et cette approche a fonctionné. « Xi a dit à deux reprises qu'il appréciait notre conversation ouverte et franche ».
Aucune ingérence n'est souhaitée
De cette manière, des questions sensibles ont pu être abordées, telles que la situation avec les Ouïghours, le Tibet, Hong Kong, le besoin de stabilité autour de Taïwan, le réseau 5G... Les droits humains ont également été discutés. Le premier ministre De Croo relate : « J'ai dit que les droits humains sont les mêmes partout. (...) Xi a répondu que son pays se trouvait à un stade de développement différent et que le droit humain le plus important restait le bonheur des gens. “Et notre peuple est heureux”, m’a-t-il assuré. ».
Le refus de la Belgique de subir toute ingérence dans son système politique - en référence à l'affaire d'espionnage d'un député du Vlaams Belang - a également été formulé et entendu fermement. Ces propos ont été tenus lors de moments publics en présence de la presse. « Cette déclaration les touche », a déclaré le premier ministre De Croo. « L'honneur est important ici. Lors du banquet d'État, j'ai dit au premier ministre que nous avions des preuves, mais comme attendu, il a nié toute implication du gouvernement ». « J'insiste pour que vous nous fassiez part de vos informations, car nous prenons cette affaire très au sérieux », lui a alors dit notre premier ministre.
La ministre Lahbib a eu l'occasion de rencontrer des représentants de la société civile chinoise pour discuter des droits des femmes, un sujet qui lui tient à cœur.

La ministre Lahbib rencontre des représentants de la société civile chinoise pour discuter des droits des femmes (© SPF Affaires étrangères/Eric Herchaft).
Embargo commercial sur le porc
Les ministres ont également mis les points sur les « i » quant à la manière de faire des affaires. « La Chine demande davantage d'investissements européens », a déclaré la ministre Lahbib. « Mais pour cela, avons-nous expliqué, il faut que nous nous sentions en confiance, avec notamment un vrai respect de la propriété intellectuelle.».
En ce qui concerne l'un des principaux objectifs de la mission, à savoir l'établissement de relations commerciales plus équilibrées, d'importantes mesures ont été prises. Par exemple, le premier ministre chinois s'est engagé à lever l'embargo commercial sur la viande de porc. Cette mesure concerne principalement les têtes et les pieds de porc : des abats dans notre pays, mais un mets délicat en Chine. Les chicons belges peuvent également être exportés ; les poivrons et les pommes devraient suivre plus tard dans l'année.
Par ailleurs, à partir du mois de juin, des vols directs seront à nouveau assurés entre Zaventem et Shanghai. Cette initiative devrait favoriser le tourisme et les relations commerciales avec la Chine. En effet, de nombreuses entreprises belges actives en Chine possèdent des bureaux dans la région de cette mégapole chinoise. Avant sa visite à Beijing, la ministre Lahbib s'est rendue dans cette région pour y promouvoir l'industrie belge.
Notre pays souhaite également que les Belges - au même titre que les Néerlandais, les Allemands et les Français - puissent voyager sans visa en Chine pendant 15 jours. Ce dossier n'a pas vraiment abouti, mais le président Xi Jinping a déclaré qu'il était favorable à une dispense de visa.
Philip Eyskens, vice-président de la Chambre de commerce sino-flamande et cadre supérieur chez Bekaert, a témoigné par la suite : « Je n'ai jamais pensé que j'aurais un jour l'occasion de participer à un banquet privé organisé par le premier ministre chinois dans le Grand Hall du Peuple sur la place Tiananmen, juste en face de la Cité interdite ! (...) Nous étions très fiers de présenter l'histoire de Bekaert, qui est arrivé en Chine en tant que pionnier il y a plus de 30 ans et qui y possède aujourd'hui une entreprise gérée par 8 000 collègues chinois répartis sur 15 sites. (...) »
« La visite a souligné l'importance de la collaboration dans les domaines où des opportunités se présentent, ainsi que la nécessité de maintenir un dialogue entre les peuples en vue d'une meilleure compréhension mutuelle. C'est ainsi que nous pourrons forger des relations à long terme, essentielles à la conduite de nos affaires ».
Une tâche de longue haleine
Les entreprises belges présentes dans le sillage des ministres - Bekaert, Solvay, AB InBev, Novandi, Inbiose... - se sont également montrées très satisfaites de la mission économique. Des rencontres avec plusieurs chambres de commerce étaient au programme. Les entreprises et le secteur alimentaire ont même pu poser des questions au ministre du Commerce lors d'une table ronde.
Bien que ces rencontres n'aient pas (encore) débouché sur des contrats concrets, l'ouverture du marché chinois constitue de toute façon un travail de longue haleine, a reconnu le premier ministre De Croo par la suite. « Dans des pays comme celui-ci, il s'agit dans un premier temps de débloquer la situation. Les résultats concrets ne viennent que plus tard. C'est pourquoi il convient de saluer les résultats de cette visite, qui a permis à notre pays de faire parler de lui, comme le font les Pays-Bas depuis bien plus longtemps ».
En bref, la mission a abouti à une reprise du dialogue, et ce, grâce à des entretiens bilatéraux avec les trois principales figures de proue du régime chinois. Ces rencontres ont favorisé un dialogue ouvert et franc où les questions sensibles n'ont pas été éludées, mais qui a toujours été empreint de respect pour les deux régimes politiques. Une approche qui a beaucoup plu à la Chine. De tels voyages devraient avoir lieu beaucoup plus régulièrement à l'avenir.
Notre SPF au premier plan
Si l'initiative du voyage en Chine revient au premier ministre De Croo, c'est notre SPF qui a joué le rôle principal dans sa préparation. Dans un laps de temps assez court, notre ambassade à Beijing s'est chargée de l'organisation pratique - rendez-vous, salles, transport, hébergement... - tandis que la direction Asie de l'administration centrale à Bruxelles s'est occupée des questions de contenu.
D'ailleurs, la présidente du comité de direction de notre SPF - Theodora Gentzis - a mené une mission économique conjointe en Chine en décembre 2023, également au nom du Luxembourg. La délégation s'est ensuite rendue à Beijing, Shenzhen et Hong Kong. Des consultations politiques ont eu lieu parallèlement à l'examen de dossiers économiques (logistique, biopharma, technologies vertes et agriculture & alimentation). De nombreux sujets de la mission ministérielle y ont été préparés. La précédente mission économique conjointe datait de 2017.
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