Une exposition à Kyiv présente le passé commun de l’Ukraine avec la Belgique et l'Europe occidentale

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Photo en noir et blanc d'une mine de charbon. Des dizaines de personnes posent devant un bâtiment avec une haute cheminée

Une mine de charbon dans le Donbass avant 1914.

Saviez-vous que vers 1900, plus de 20 000 Belges vivaient dans le Donbass, qui était à l'époque notre « 10e province » ? Avec d'autres pays d'Europe occidentale, ils y ont lancé l'industrialisation. Cette région ukrainienne, aujourd'hui occupée par la Russie, n'a donc pas d'origine proprement russe. Une exposition et un documentaire ont mis en lumière ce passé commun oublié. Notre ambassade à Kyiv a cofinancé et écrit un livre à ce sujet en 2009.

Après deux ans et demi, une guerre sanglante fait toujours rage en Ukraine. La principale cible de la Russie est le Donbass, une région fortement industrialisée de l'est de l'Ukraine. Mais saviez-vous que la Belgique a cofondé les mines de charbon et de fer et les usines sidérurgiques du Donbass ? Une histoire oubliée tant par les Ukrainiens que par les Belges !
 

Cockerill et Solvay


Voyant que l'Europe occidentale connaissait une révolution industrielle au XIXe siècle, d'abord en Grande-Bretagne, puis en Belgique et sur le continent, le tsar russe ne peut rester à la traîne en tant que superpuissance. La construction d'un chemin de fer entre Moscou et Saint-Pétersbourg en 1837 constitue un premier exploit. Et oui, des Belges y participaient.

Cependant, la Russie ne voulait pas devenir dépendante des pays étrangers et préférait tout produire elle-même. C'est pourquoi elle a protégé son marché intérieur par des droits de douane élevés. L'entreprise belge Cockerill, par exemple, à l'origine de l'industrie sidérurgique de notre pays, a vu ses exportations s'effondrer en 1877.

À l'instar du Britannique John Hughes, qui a créé le premier haut fourneau dans le Donbass en 1872, Cockerill a lui aussi décidé d'investir et de produire localement. Pourquoi le Donbass ? Parce que cette steppe quasi abandonnée contenait beaucoup de charbon et de minerai de fer, qui étaient par ailleurs assez proches de la surface et donc faciles à exploiter.

Cockerill a été suivie par Solvay - avec des usines de soude - et plus de 160 autres entreprises belges. En 1900, la Belgique était le plus gros investisseur en Russie, avant même nos grands voisins que sont la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne. Dans de nombreuses villes, dont Kyiv, les Belges ont posé les lignes de tramway.

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Photographie en noir et blanc d'une usine, avec de nombreuses et hautes cheminées bordant les bâtiments. Au premier plan, une large fosse

Une usine de boissons gazeuses de Solvay dans le Donbass avant 1914.

10e province belge


À lui seul, le Donbass - notre « 10e province belge » à l'époque - abritait plus de 20 000 compatriotes. Des villes belges ont surgi de terre avec leurs propres écoles, hôpitaux, parcs, installations de loisirs, etc. Tous très reconnaissables, avec notre brique rouge typique.

La ville de Lyssytchansk abritait de véritables joyaux. Prenons l'exemple de la maison du directeur de l'ancienne usine de soude de Solvay, qui a abrité un sanatorium pendant de nombreuses années. Ou encore les quartiers résidentiels avec les modestes maisons de cité pour les ouvriers des usines, les habitations un peu plus grandes pour les surveillants et les magnifiques villas pour les ingénieurs et les directeurs. Ou encore le gymnase, une école secondaire réputée en Ukraine. Tous éléments du patrimoine belge !

Mais après la révolution russe de 1917 et la victoire des bolcheviks de Lénine, tous les étrangers ont été expulsés du pays. Leurs usines ont été nationalisées, sans aucune forme de compensation. Le Donbass - alors encore russe - est devenu plus tard un territoire ukrainien. Après l'invasion russe de février 2022, la région a été occupée par la Russie. Presque tout ce beau patrimoine a été détruit.

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Photo de panneaux expliquant l'histoire de Mariupol

L’exposition sur la place Mikhaelivski à Kyiv (© Bohdan Poshyvailo).

The European Heritage of the Donbass


Une partie aussi importante de l'histoire ne peut pas être oubliée. Certainement pas en ces temps de guerre où la Russie diffuse des fausses nouvelles selon lesquelles le Donbass a une origine entièrement russe. En réalité, le Donbass fait partie intégrante de l'histoire de l'Europe occidentale et partage avec nos régions un patrimoine culturel, architectural et industriel.

C'est pourquoi le Musée ukrainien d'art contemporain (MOCA), en collaboration avec le Ukrainian Emergency Art Fund (UEAF) et l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), entre autres, a pris l'initiative d'organiser une exposition sur la Place Mykhailivska, l'une des places les plus fréquentées de la capitale, Kyiv. Titre : The European Heritage of the Donbass.

6 panneaux - 1 par pays - décrivent l'héritage précieux laissé dans le Donbass par les pays qui ont le plus contribué à l'industrialisation il y a plus de 100 ans : les États-Unis, la Belgique, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la France et l'Italie. Pour la Belgique, ce sont le gymnase et l'hôpital de Lyssytchansk qui ont été choisis.

Un code QR sur les panneaux permet aux personnes intéressées de visionner un extrait du documentaire Eurodonbas. Grâce à des images d'archives historiques, le documentaire montre comment, au début du XXe siècle, le Donbass faisait partie intégrante de l'économie européenne (voir la bande-annonce). Il a également été présenté dans des salles de cinéma en Ukraine, où il a connu un grand succès.
 

Steel on the steppe


Notre ambassade belge à Kyiv n'a pas seulement cofinancé l'initiative, elle en a été indirectement à l'origine. Car en 2009, deux collègues de notre SPF - Wim Peeters et Frederik Develter - ont publié un livre : Steel on the steppe. L'ouvrage traite en détail de la présence belge en Ukraine et dans le Donbass du XIXe à 1917. Pour ce faire, nos collègues ont visité des musées jusqu'aux confins du Donbass. L'ouvrage a également été traduit en ukrainien et largement diffusé.

Le réalisateur ukrainien d'Eurodonbas a lu Steel on the steppe, ce qui l'a incité à réaliser ce documentaire. Les initiateurs de l'exposition s'en sont également inspirés.

Tout au long du mois de mai, y compris le 9 mai, Journée de l'Europe, les panneaux ont été exposés sur la Place Mykhailivska. De nombreux Ukrainiens et étrangers ont lu les panneaux et ont pris conscience d'un pan d'histoire oublié. Si le patrimoine lui-même a malheureusement été détruit, ce passé commun avec la Belgique et l'Europe occidentale restera désormais dans les mémoires. L'exposition sera ensuite présentée à l'étranger également.