Comment notre poste à Rabat a affronté une crise d’une ampleur inédite

Fin mars, le monde s’est figé. Pour éviter la propagation non contrôlée du coronavirus, les États ont notamment décidé de fermer leurs frontières. De nombreux Belges ont été pris de court aux quatre coins du globe. Nos postes diplomatiques ont soudain été assaillis de demandes de rapatriement. Spécialement ceux du Maroc où de très nombreux concitoyens se trouvaient au moment du lockdown. Marc Trenteseau, ambassadeur belge à Rabat revient sur la gestion de cette crise sans précédent.

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Les gens font la queue pour s'enregistrer à l'aéroport

En avril, une première vague de rapatriement organisée par l’ambassade a permis de ramener 1139 personnes en Belgique à bord de 7 vols depuis Marrakech et Agadir. Au début de la crise, les candidats au retour s’étant signalés provenaient en effet massivement de ces deux régions touristiques. Pour le Nord, avec l’appui de notre consul honoraire à Tanger, nous avons systématiquement informé nos concitoyens des vols commerciaux qui ont ramené plus de 1.000 personnes en Belgique.

La deuxième vague de rapatriement, à caractère humanitaire, a pris fin le 15 mai et a permis à l’aide de 7 nouveaux vols de rapatrier 1912 personnes vers la Belgique. À ces 14 avions, il faut ajouter 7 vols médicalisés d’urgence pour des passagers dans un état critique. À l’heure actuelle (29 mai), une troisième vague de rapatriement se profile pour le début du mois de juin et toute l’équipe de l’ambassade reste sur le pont pour y travailler.

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Les employés du centre d'appels de Rabat

Une petite partie de notre call center

Des listes de candidats

Tous les ressortissants inscrits sur la plateforme TravellersOnline ont été contactés par mail dès le 12 avril pour leur annoncer l’ouverture des candidatures au rapatriement humanitaire. Suite à cet appel, nous avons reçu un afflux de demandes : 6161 mails en 5 jours, à traiter et à encoder.

Nous avons donc mis en place une équipe, autour d’un noyau de six personnes à Rabat et à Casablanca, et avons pu mobiliser l’aide de volontaires de la Délégation Wallonie Bruxelles International et de nouvelles recrues. Grâce à cela, 15 encodeurs ont traité les demandes jour et nuit, jusqu’au 17 avril. Vu l’urgence, le poste a aussi sollicité l’aide du département à Bruxelles et a ainsi pu compter sur une dizaine de personnes supplémentaires.

Au total, ce sont donc près de 30 personnes qui ont participé à cet exercice d’encodage. Ce travail sans relâche a permis de consolider l’information dès le 19 avril et de finaliser une liste de 4500 noms, un défi vu le délai imparti. Bien sûr, un tel effort a généré quelques erreurs inévitables, dues au nombre de demandes et à la nécessité d’enregistrer les raisons invoquées (médicale, professionnelle ou familiale). Mais le résultat global a largement répondu à nos attentes.

La liberté d’action dont nous ont honorés les services centraux lors de ces opérations s’est avérée très utile pour compléter les listes avec des cas prioritaires, souvent déjà connus par nos postes ou répondre à une situation qui évoluait à chaque instant (renoncements de candidats, signalements prioritaires après la date des inscriptions, situation médicale devenue urgente…). Parfois, nous ne disposions que d’une journée entre certains vols. La flexibilité a permis de réagir rapidement, à Bruxelles et sur place.

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Les passagers sont enregistrés à l'aéroport

Les passagers sont enregistrés à l'aéroport

Organiser les vols : une logistique complexe

L’organisation des vols s’est faite dans des conditions logistiques particulièrement difficiles en raison du Ramadan et de l’état sanitaire d’urgence appliqué de manière très stricte au Maroc. Cette complexité a impliqué un travail de jour et de nuit pour s’assurer que les vols partiraient remplis. En effet, nous devions d’abord contacter tous les intéressés pour confirmer leur intérêt à prendre un vol et préciser leur lieu de séjour, afin de pouvoir finaliser les listes finales qui ont ensuite été transmises à la partie marocaine pour approbation. Une fois celle-ci obtenue, nous devions confirmer les déplacements individuels de chaque passager, mettre en place un service de bus pour leur permettre de rejoindre l’aéroport de Casablanca (seul aéroport opérationnel) où les rapatriés étaient contrôlés et signaient une reconnaissance de dette pour le prix du vol.

Afin d’éviter au maximum les no-show (personnes qui ne se présentent pas au départ), le poste a mis en place un call center pour appeler tous les passagers prévus la veille du départ et confirmer une nouvelle fois les explications logistiques transmises par e-mail (heure et adresse des bus, autorisation de déplacement…). Cet effort a permis d’éviter que de nombreuses personnes ne manquent leurs bus qui  partaient très souvent à l’aube des différentes villes du Royaume pour rejoindre le jour même l’aéroport de Casablanca, un voyage éprouvant pour beaucoup.

Une fois les inévitables no-show comptabilisés au départ des navettes de bus en pleine nuit, nous devions combler les places vides en appelant, dès le matin, des ressortissants issus des listes approuvées et situés à proximité de l’aéroport ou sur le trajet des bus. Cela a permis d’assurer des vols pratiquement à pleine capacité. Vu l’impossibilité pour les gens de se déplacer d’une ville à l’autre pendant le confinement, on ne pouvait pas enregistrer un surplus de passagers à l’avance, car les éventuels laissés-pour-compte n’auraient alors pas pu rentrer facilement chez eux et cela aurait mené à des situations difficiles à gérer à l’aéroport.

L’importance de communiquer

C’est certainement l’un des points le plus difficile à gérer. D’une part, en raison de l’énorme affluence des demandes ; et d’autre part, du fait de publications erratiques sur les réseaux sociaux et dans les médias. Ces publications auraient pu créer un climat délétère, alors que nous n’avons eu aucun problème avec les passagers sélectionnés et embarqués.

L’afflux massif de mails et d’appels téléphoniques a rapidement saturé toutes les lignes téléphoniques et fait exploser les boîtes mails. C’était inévitable car les deux postes (Rabat et Casablanca) n’ont pas la capacité technique ou humaine de faire face à un telle vague. Cela a créé un sentiment de frustration auprès des demandeurs qui n’ont pas toujours reçu de réponses à leurs questions.

Conformément aux leçons tirées du passé sur la gestion de la communication en temps de crise, le poste a créé des groupes WhatsApp pour centraliser l’information et diffuser les messages entre les différents gestionnaires en temps réel. Cette décision a permis une communication rapide et harmonisée dans une situation en constante évolution.

Campagne de désinformation

Dès le début de la crise, des groupes se sont créés sur Facebook pour partager les expériences entre personnes bloquées. Partant d’une bonne intention, certains groupes ont rapidement été instrumentalisés par leurs gestionnaires ou des influenceurs mal intentionnés pour en faire un outil de pression à l’encontre de notre SPF. Exemples : faire porter la responsabilité sur la Belgique de la fermeture des frontières marocaines et des difficultés des rapatriements; attiser le mécontentement; répandre l’idée d’un traitement différencié des dossiers de rapatriement selon l’origine des demandeurs,…

Cette campagne de désinformation a été nuisible, au risque de compliquer les négociations avec les autorités marocaines, mais aussi en disséminant de fausses informations. Cela a créé énormément de confusion auprès de nos ressortissants vulnérables qui ont multiplié leurs appels de détresse, alors que nos réseaux étaient déjà saturés.

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Famille avec paquet de repas

En raison du Ramadan, chaque passager a reçu un colis-repas pour l'avion

L’importance de la dimension humaine

Face à une crise de cette ampleur, il faut mettre en place rapidement des procédures ad hoc qui tiennent compte de la réalité du terrain et des forces disponibles. Si le respect des instructions consulaires est crucial, la dimension humaine l’est tout autant et doit guider notre action. En effet, une base de données cache avant tout des personnes qui se trouvent dans des situations difficiles, et qu’il faut pouvoir assister au mieux. Malgré l’urgence et des ressources limitées, il faut prendre le temps de les écouter et de les accompagner.

Paradoxalement, c’est ce côté humain qui a maintenu la motivation des équipes et des employés locaux, qui, pour certains, ont donné bien davantage que ce que l’on pouvait en attendre. C’est aussi la raison qui nous a incité à prendre en considération l’importance du ramadan pour la grande majorité des passagers, arrivés à l’aéroport exténués par une longue route. Nous avions donc prévu pour chaque passager un paquet repas pour rompre le jeune une fois dans l’avion. Cette attention a été fort appréciée de tous.

Enfin, pour la réussite d’une telle opération, le maintien des liens de confiance avec les autorités locales a été un élément-clé du succès. Ce sont ces relations de confiance avec nos homologues directs qui nous ont permis de résoudre de nombreuses situations problématiques.

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Personnel derrière le drapeau belge

Une équipe satisfaite du résultat