Le personnel local récompensé pour sa loyauté après l’explosion à Beyrouth

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Photo de groupe de l'ambassadeur de Belgique au Liban avec le personnel local

Photo de groupe de l'ambassadeur avec le personnel local après la remise des décorations (© SPF Affaires étrangères).

Nombre d’entre vous se souviennent probablement de la gigantesque explosion survenue en 2020 dans le port de Beyrouth. Toutefois, l’ampleur de la catastrophe est peut-être moins présente aujourd’hui dans les esprits. Il s’agissait pourtant de la plus grande explosion non nucléaire d’origine accidentelle de toute l’histoire.

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Photo montrant les dégâts après l'explosion d'un silo à grains à Beyrouth

Vue des dégâts après l'explosion. Le cratère de l'explosion se trouve juste à côté des silos à grains endommagés et du blé jaune répandu. À l’avant-plan, un entrepôt détruit (© Shutterstock).

3,3 sur l’échelle de Richter

Retour sur les évènements en quelques chiffres : le 4 août 2020, à Beyrouth, l’explosion de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium a causé un séisme d’une magnitude d’au moins 3,3 sur l’échelle de Richter et a engendré un cratère de 124 m de diamètre et 43 m de profondeur. Au niveau du bilan humain, l’explosion a fait au moins 200 morts, plus de 6 000 blessées et 300 000 sans-abri.

Les explosions – au nombre de deux, survenues à quelques minutes d’intervalle, autour de 18h07 – ont créé une énorme onde de choc. L’air, qui se déplaçait dès lors avec une force colossale, a détruit sur son passage quasiment toutes les fenêtres, l’ensemble des volets et une grande partie du mobilier dans un vaste périmètre. Des maisons situées jusqu’à dix kilomètres de distance ont été endommagées et les secousses ont été ressenties jusqu’à 240 km plus loin, jusqu’au nord d’Israël et à Chypre.

Notre ambassade à deux km de l’explosion

Notre ambassade à Beyrouth – des espaces de travail situés au 10e étage d’un immeuble de bureaux – se trouvait à deux km du lieu de l’explosion. L’onde de choc a donc frappé le bâtiment de plein fouet. Par chance, il n’y avait plus de personnel présent sur place au moment de l’explosion.

Hubert Cooreman, ambassadeur à l’époque, avait quitté le bâtiment en dernier à 17h40 pour se rendre chez le dentiste. Après l’explosion, le service de surveillance permanent l’a immédiatement informé des dégâts. L’ambassadeur Cooreman a alors donné l’instruction d’empêcher l’accès au bâtiment et de vérifier qu’aucun document, visa ou autre ne se soit retrouvé dans la rue.

Accueil de tous les blessés à la résidence

La priorité à ce moment-là était toutefois de venir en aide aux blessés. Les appels de collègues expatriés – donc belges – affluaient. Ils étaient non seulement blessés – souvent des coupures causées par des éclats de verre – mais en plus, leur habitation s’était effondrée ou avait subi de lourds dégâts.

Les hôpitaux à Beyrouth, qui ont eux aussi essuyé de gros dégâts, étaient submergés de victimes. C’est pourquoi monsieur Cooreman a décidé d’accueillir tous ses collègues blessés et provisoirement sans-abri dans sa résidence située à l’écart (15 km) et à une altitude plus élevée (à 400 m). Il a fait venir un médecin qui est arrivé à 20h30 pour prodiguer des soins aux collègues.

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Collage de photos montrant les dégâts causés à l'ambassade de Belgique à Beyrouth après l'explosion de 2020

Image des dégâts dans les bureaux de l'ambassade (© SPF Affaires étrangères).

22 fenêtres explosées

L’ambassadeur Cooreman s’est encore rendu à l’ambassade le soir-même pour s’informer de la situation. Mais c’est surtout le lendemain matin qu’il a pu mesurer précisément l’ampleur des dégâts, alors que la température atteignait les 36 °C et que les ascenseurs et la climatisation étaient inutilisables.

Les PC et imprimantes étaient détruits, les 22 fenêtres avaient toutes été soufflées, les faux-plafonds et parois avaient été arrachés… En bref, il était impossible de travailler à l’ambassade. Ce contretemps tombait particulièrement mal, car un chantier urgent devait être finalisé. Plus de 60 étudiants libanais devaient obtenir un visa pour la Belgique afin de passer les examens d’entrée le 24 août pour les facultés de médecine, pharmacie et médecine dentaire.

Le personnel local à la rescousse

C’est alors que le personnel local est entré en jeu. Ces collaborateurs ont eu de la chance dans leur malchance : comme ils habitaient plus loin, ils n’ont pas été blessés et leurs maisons n’ont pas été endommagées. À partir du 5 août, ils ont travaillé d’arrache-pied, également en dehors des heures de travail et pendant le week-end, pour tout déblayer. Ils ont recouvert les fenêtres de plastique, fait venir un conteneur pour débarrasser les débris et bien plus encore. Le personnel belge blessé séjournait quant à lui dans la résidence, en attendant son rapatriement vers la Belgique. Les agents locaux ont également apporté du soutien à leurs collègues blessés.

Du nouveau matériel informatique (PC, imprimantes...) en provenance de Bruxelles est heureusement arrivé relativement vite. L’électricité dans l’immeuble de bureaux a également été rétablie assez rapidement. Résultat : le 10 août, soit seulement six jours après l’explosion, l’ambassade a pu reprendre ses activités, mais sur rendez-vous. Certes, les collaborateurs travaillaient au milieu de lampes qui pendillaient au-dessus de leurs têtes, de murs détruits et de fenêtres recouvertes de plastique, mais ces réparations de fortune faisaient l’affaire. Au final, tous les étudiants libanais ont obtenu leur visa à temps.

Aide essentielle

La réouverture rapide de l’ambassade n’aurait pas été possible sans l’aide du personnel local, en ce compris les chauffeurs et le jardinier de la résidence. L’assistante personnelle de l’ambassadeur, armée d’un remarquable sang-froid, a pris en charge la coordination des travaux de remise en état qui ont duré jusque janvier 2021. Pour assurer cette mission, elle a fait appel à son vaste réseau de contacts et a entre autres engagé un entrepreneur local.

Par ailleurs, outre ses tâches quotidiennes, elle s’est également occupée de tous les contacts, aspects pratiques et formalités pour la réception de deux vols de C-130 affrétés par la Belgique pour acheminer de l’aide humanitaire et en a assuré le transfert à l’armée libanaise et aux destinataires finaux (les ONG et l’UNICEF). Ce n’est pas tout : elle s’est aussi chargée des formalités de douane pour plusieurs conteneurs remplis de matériel humanitaire envoyé par la diaspora libanaise en Belgique et par des entreprises belges.

Loyauté récompensée

Le personnel local avait fait preuve d’un tel mérite que l’ambassadeur Cooreman a décidé de proposer à la direction Protocole du SPF Affaires étrangères de lui remettre une distinction. Les décorations ont ainsi été décernées le 28 juillet 2022 à Beyrouth, en présence de quelques membres de la famille. Ce fut un événement à la fois émouvant et convivial. Le personnel local s’est montré particulièrement reconnaissant et ému. Ce geste les a profondément touchés.

Quelques mots sur le contexte s’imposent : en 2020 – en pleine année corona – le Liban traversait la plus grande crise économique et financière de son histoire, qui se poursuit d’ailleurs encore aujourd’hui. La crise n’a pas épargné le personnel local qui a dû faire face à une forte perte de son pouvoir d’achat. Malgré ces circonstances, les collaborateurs locaux n’ont cessé de faire preuve d’une loyauté, d’un engagement et d’une disponibilité sans failles. Ces qualités n’ont pas été observées uniquement à la suite de l’explosion, mais dans leur travail au quotidien. Cet exemple illustre parfaitement la résilience qui fait la renommée des Libanais.

Peut-être s’agit-il également de l’expression de leur gratitude et de l’appréciation par rapport aux actions de la Belgique en faveur du Liban, un pays en proie à des nombreuses crises. Notre ambassade a par exemple été l’une des rares à rester ouverte pendant toute la durée de la guerre civile (1975-1991) et la Belgique a accordé l’asile à des milliers de réfugiés libanais. De plus, nous avons mené à bien une opération d’évacuation durant la guerre de 2006.

Le personnel local est indispensable au fonctionnement d’une ambassade

Dans cet article, nous souhaitons également souligner l’importance du personnel local pour l’ensemble de nos ambassades et consulats. Sans la population locale, ils ne peuvent simplement pas fonctionner. En effet, une ambassade ne se résume pas uniquement au travail des diplomates, elle assure également le rôle d’administration communale qui fournit des services consulaires (visa, cartes d’identité…) aux Belges ainsi qu’à la communauté locale.

Le personnel local connaît la langue, la culture ainsi que les us et coutumes, et peut s’appuyer sur un vaste réseau de contacts. Ces avantages se sont révélés être de précieux atouts lors du déblaiement et de la remise en état de l’ambassade à Beyrouth, par exemple. En outre, tandis que le personnel belge change régulièrement, le personnel local reste bien plus longtemps sur place. Les collaborateurs locaux peuvent donc être considérés comme rien de moins que la mémoire pratique d’une ambassade. Sans le personnel local, une ambassade ne pourrait pas s’intégrer de manière adéquate dans le pays d’accueil.