L’approche 3D pour plus de stabilité au Niger

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La ministre de la Coopération au développement, Caroline Gennez, rencontre le président nigérien Mohamed Bazoum

La ministre de la Coopération au développement, Caroline Gennez, rencontre le président nigérien Mohamed Bazoum (© SPF Affaires étrangères).

Le 1er juin 2023, la ministre de la Coopération au développement, Caroline Gennez, s’est rendue au Niger afin d’y lancer le projet pilote de l’approche 3D, une approche intégrée conjuguant coopération au développement, diplomatie et défense. Ce projet vise à améliorer les conditions de vie de la population et à restaurer sa confiance dans le gouvernement.

Le Sahel est une région extrêmement fragile en raison de divers facteurs. Citons par exemple l’extrême pauvreté, la désertification et la faiblesse des structures étatiques. En outre, depuis le début des années 2010, des groupes djihadistes et autres groupes armés, tels qu’Al-Qaïda dans le Maghreb islamique (AQMI), l’État islamique (EI) et Boko Haram, opèrent dans la région.

Le Niger – pourtant l’un des pays les plus pauvres du Sahel – reste pour l’instant un îlot relativement stable au milieu de cette région agitée. Le pays connaît une croissance économique remarquable et la population nigérienne, très jeune, présente un énorme potentiel économique. Le Niger se révèle également un partenaire fiable qui évolue favorablement en matière de transition démocratique. En outre, l’actuel président civil Mohamed Bazoum entend s’attaquer aux problèmes depuis leurs racines.
 

Des centaines de milliers de réfugiés et de personnes déplacées


Ce ne sont pas les problèmes et défis qui manquent. Ainsi, le dérèglement climatique et la sécheresse croissante engendrent des conflits entre les éleveurs de bétail nomades et les agriculteurs sédentaires dans le sud du pays. Le Niger n’échappe pas non plus au fléau des groupes armés. Dans les vastes zones inhospitalières où ces groupes sévissent, l’État nigérien, trop faible, n’est pas en mesure d’exercer un contrôle. De plus, de récents coups d’État dans les pays voisins (Mali et Burkina Faso) ont conduit à l’accession au pouvoir des juntes militaires.

L’insécurité contraint de très nombreux Nigériens à fuir à l’intérieur de leur propre pays. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) estime qu’il y aurait plus de 270 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays. Mais le Niger se situe aussi sur l’une des principales routes empruntées par les réfugiés et migrants en Afrique. Des milliers de personnes en provenance du Nigéria, du Burkina Faso et du Mali y cherchent une protection. En partie avec le soutien de la Belgique, le HCR fournit une assistance aux plus de 580 000 réfugiés et personnes déplacées.
 

Torodi : sans développement, pas de sécurité (et inversement)


Le département de Torodi, situé entre la capitale Niamey et la frontière avec le Burkina Faso, fait partie des régions en proie aux groupes armés et djihadistes. Pour stabiliser un tant soit peu cette zone rurale, les autorités nigériennes ont sollicité le soutien de la communauté internationale. L’État nigérien entend y rétablir sa présence, renforcer la cohésion sociale et améliorer les services prestés par les autorités publiques afin de renforcer la confiance de la population dans son gouvernement.

Aux yeux du gouvernement nigérien, il est en tout cas essentiel que la lutte contre le terrorisme s’accompagne de programmes de développement visant à améliorer les conditions de vie des 260 000 habitants de Torodi. En effet, le développement constitue un facteur indispensable à la sécurité.

S’ils n’ont pas de perspectives d’avenir, les jeunes deviennent des cibles privilégiées, notamment pour les groupes extrémistes musulmans en quête de nouvelles recrues. « Ils rejoignent dès lors ces groupes, non pas par conviction religieuse, mais pour des raisons économiques ou mus par un sentiment d’injustice ou de discrimination », a récemment expliqué le général en chef nigérien Abdou Tarka à la VRT. L’inverse est tout aussi vrai : pas de développement sans sécurité. Si des attaques ne cessent d’être perpétrées ou si des menaces de violence planent, des projets de développement ne peuvent pas voir le jour.
 

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Le directeur Afrique Philippe Bronchain visite la gendarmerie nationale à Torodi

Le directeur Afrique Philippe Bronchain visite la gendarmerie nationale à Niamey (© SPF Affaires étrangères).

Travailler plus efficacement grâce à l’approche 3D


En réponse à cette demande claire de soutien émanant du gouvernement nigérien, la Belgique a été l’un des premiers pays à proposer une approche dite « 3D », conjuguant défense, diplomatie et coopération au développement belges en vue d’améliorer considérablement l’efficacité des interventions dans un contexte fragile.

La diplomatie belge a comme atout d’entretenir, par l’intermédiaire de son ambassadeur sur place, des contacts privilégiés aussi bien avec les autorités centrales à Niamey qu’avec les autorités locales. Elle peut ainsi s’assurer en permanence que les activités s’inscrivent bien dans les priorités stratégiques du Niger, ce qui favorise la durabilité des résultats.

Pour sa part, la Défense belge apporte son appui aux forces armées nigériennes dans le but d’accroître leur autonomie et leur résilience. Cet appui inclut des conseils, des formations et la fourniture d’équipements « non létaux » tels que des casques, des jumelles, du matériel de couchage, des véhicules, des moyens de communication et bien plus encore.

En outre, la Défense belge est étroitement impliquée dans la construction d’un nouveau poste de commandement à Torodi, au départ duquel le Niger mènera ses opérations dans la zone. Conjugué à la présence d’autres services de l’ordre (police, gendarmerie, garde nationale), cet appui doit permettre au peuple nigérien de regagner la confiance dans ses forces de sécurité, ce qui ne peut bien entendu se faire que si celles-ci parviennent à garantir la sécurité des citoyens. L’armée belge dispense déjà des formations au Niger depuis 2017.

Quant à la Coopération belge au Développement, elle a confié à l’agence de développement belge, Enabel, la tâche de procéder à une analyse approfondie de la situation socioéconomique à Torodi et des besoins de la population. Ensuite, pour pouvoir répondre à ces besoins, les autorités locales ont formulé des plans de développement et d’investissements, et Enabel en appuie la réalisation.

La population doit par exemple bénéficier d’un meilleur accès à l’enseignement et aux soins de santé. Les enfants dont les établissements scolaires ont été détruits doivent pouvoir retourner à l’école. Ces actions renforceront la protection sociale et réduiront les inégalités sociales.

En parallèle, une attention particulière est accordée au développement agropastoral en vue d’accroître la production alimentaire. Il s’agit entre autres de garantir un accès à l’eau pour la population et le bétail au moyen de forages. Le projet a également pour ambition d’encourager l’esprit d’entreprise chez les jeunes.

Toutes ces actions sont combinées à des campagnes de sensibilisation à la paix, au civisme et à la cohésion sociale. Le secteur privé et la société civile sont également étroitement impliqués.
 

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Photo de sacs de lait en poudre dans une caisse

La délégation a également visité la laiterie NigerLait – un projet de développement belge – pour discuter des défis auxquels l’agropastoralisme est confronté (© SPF Affaires étrangères).

Le Niger tient les rênes


L’objectif du projet n’est par ailleurs pas de braquer les projecteurs sur la Belgique. « Afin de maximiser les chances de réussite et de ne pas mettre en péril la crédibilité des services publics nigériens, il a été explicitement demandé que l’appui belge soit le moins visible possible », confie Bart De Groof, envoyé spécial pour le Sahel. « L’objectif est en effet de renforcer la présence du gouvernement nigérien et de montrer à la population que l’État prend ses missions à cœur. Les Nigériens tiennent les rênes. Ils formulent les besoins et nous intervenons là où nous le jugeons utile et nécessaire. »
 

Une inspiration pour les contextes fragiles


Cette approche globale et intégrée s’annonce très prometteuse. En tout cas, il s’agira d’un projet pilote passionnant qui pourrait potentiellement être appliqué dans d’autres contextes fragiles.

Cet aspect est d’autant plus important pour la Belgique que notre pays privilégie les États fragiles dans sa coopération au développement, c’est-à-dire les pays vulnérables caractérisés par une faible structure étatique et en proie à des conflits internes et à l’instabilité. Bien qu’il soit particulièrement difficile de travailler dans un contexte fragile, notre pays ne souhaite pas abandonner à leur sort ces pays qui ont le plus besoin d’aide. L’approche 3D peut dès lors servir de source d’inspiration.
 

L’UE se mobilise aussi


L’UE s’est déjà laissée convaincre par l’approche 3D. Elle a débloqué des fonds supplémentaires pour soutenir le projet pilote belge. Les activités « européennes » comprennent la construction d’un commissariat et la livraison de matériel tel que du mobilier, des ordinateurs, des gilets pare-balles et du matériel de transport afin de renforcer la capacité d’action des services de sécurité dans la région.

Initialement, il était prévu que les trois ministres concernés par l’approche 3D, à savoir la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib, la ministre de la Défense Ludivine Dedonder et la ministre de la Coopération au développement Caroline Gennez, se rendent conjointement au Niger pour lancer officiellement le projet pilote. Toutefois, en raison d’un concours de circonstances, seule la ministre Gennez a effectué le déplacement. Cela n'a cependant pas empêché cette visite d’être fructueuse et de donner lieu entre autres à un entretien approfondi avec le président Bazoum. Quoi qu’il en soit, le projet 3D est désormais totalement sur les rails.
 

La Belgique ne laisse pas tomber le Niger et le Sahel


Un programme de coopération gouvernementale de 60 millions d’euros pour la période de 2022 à 2027 est actuellement en cours au Niger. Il s’attache, entre autres, à renforcer l’accès aux soins de santé et à rendre le secteur agropastoral plus performant. Sur l’enveloppe totale, 4,5 millions d’euros sont consacrés au projet 3D à Torodi.

Notre pays œuvre également en faveur d’une plus grande résilience face au changement climatique au Sahel et contribue à la Grande Muraille verte. Sur les 50 millions d’euros prévus, 11,5 millions sont destinés au Niger.

En outre, la Belgique fournit des contributions à diverses organisations internationales actives au Niger telles que le Programme alimentaire mondial (PAM), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et la Banque mondiale. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) a ainsi reçu 2 millions d’euros afin de fournir une assistance à plus de 400 000 réfugiés et déplacés internes. De nombreuses ONG belges mènent également des projets au Niger.
 

Stratégie de sécurité nationale


La Coopération belge au Développement continue néanmoins de poursuivre ses actions dans d’autres pays tels le Burkina Faso et le Mali. Avec la région des Grands Lacs, le Sahel reste en effet une zone d’action prioritaire de la politique étrangère belge.

L’attention portée au Sahel s’inscrit d’ailleurs également dans la Stratégie de sécurité nationale de la Belgique, notamment dans la lutte contre le terrorisme international. Comme l’a déclaré la ministre Gennez lors de sa visite : « Il est naïf de penser que l'insécurité croissante au Sahel n'aura aucun impact sur nous ici en Europe et en Belgique. Auparavant, l'EI était aussi le problème du Moyen-Orient et des États-Unis. Mais cela n’a pas empêché cette organisation terroriste de commettre des attentats en Europe. Certains problèmes semblent toujours lointains jusqu'à ce qu'ils se présentent soudainement à votre porte. »